Silence est un film qui va mettre à mal la Foi chrétienne (mais il s’agit plutôt de la foi catholique dans les faits, Jésus étant omniprésent) plutôt que d’en être partisane (La Passion du Christ). En cela, il sera déjà nettement plus populaire que son prédécesseur (à raison vu sa densité pragmatique, nettement plus concrète et ancrée dans le réel que les « illusions cathartiques » de son confrère (et surement un peu en cohérence avec l’ordre jésuite, qui avec ses missions d’évangélisation, avait une conception plus concrète de la religion (l’époque du film précède la chute, l’ordre jésuite commençant à tomber en disgrâce au XVIIème, avant d’être dissous au XVIIIème (il renaîtra en 1814, dans la douleur))). Il faudra donc reconnaître à Silence toute la légitimité de ses arguments, allant de l’impérialisme occidental (par la religion et la culture) jusqu’à la distorsion conceptuelle (qui réfute donc une foi réelle des ch-rétiens japonais, trop imprégnés du culte de la nature pour transcender leur vision de l’homme, et donc finalement morts pour rien sinon pour les prêtres qu’ils hébergeaient). Ce dernier argument est un gros coup de massue en lui-même, car il tape donc sur un orgueil inconscient de conviction, celui de détenir et d’apporter la Vérité. C’est là le principal point de fissure du père Rodriguez, attitude plus généralisée à l’époque même si le film relève une ouverture (étroite) à l’intégration culturelle des populations locales avec des prêtres tentant d’assimiler les symboles préexistants pour traduire les concepts chrétiens. Sans aller jusqu’à une tentative de néo-colonialisme, le film parle donc de mission, un prosélytisme pacifique car les chrétiens y sont sans défenses et offerts à leur bourreau. Je reviendrai plus tard sur le dilemme du Koboru (renoncement, apostasie) plus tard. Car le point de fissure du camp japonais est justement la mise à mort de ces chrétiens à titre d’exemple, principalement au titre qu’ils ne valent rien et qu’ils sont incapables de comprendre des concepts évolués, tarés qu’ils sont par le travail et les conditions de vie difficiles. Cette absence de considération pour les bas étages de la structure sociale est en elle-même un ferment de Foi pour les populations, en quête de justice et d’espoir, et une raison à priori vertueuse alimentant la spirale des martyrs.
Le film déploie sa conception du martyr par une assimilation du concept même de martyr, ouvrant au paradis en mourant pour la cause chrétienne (et donc basée sur la promotion de la Foi). Ainsi, Silence détaille un cercle vicieux qui incite au sacrifice (inutile car pour un concept lointain, inaccessible, et vide) tout en alimentant la Foi des autres croyants qui trouvent dans ces persécutions une justification à leur croyance. Car quelle situation plus simple et plus confortable de se savoir opprimé à tort, donc à priori, savoir qu’on a raison ? Cet adage pacifiste se trouve ici complètement dévoyé, puisque du point de vue japonais, il est au service d’une philosophie inutile qui s’auto-alimente dans le blocage des points de vue. Le procès permettra de développer les arguments japonais, mais ils constatent vite sur le terrain l’impuissance des tortures à éradiquer la Foi. Ils ont toutefois conscience, en concevant cette religion comme une malédiction, que les esprits des chrétiens locaux ne peuvent se faire « libérer » de leur conviction, et se bornent à des blasphèmes symboliques, toutefois durcis régulièrement pour marquer toujours la désapprobation. C’est ici qu’arrive le dilemme au cœur du film, celui donc de l’apostasie au nom de l’amour de son prochain. Homme de Dieu, peux tu renier, ne serait-ce que dans la forme, pour épargner des vies ? L’accession au statut de martyr, aux persécutions et à la rédemption christique (le fait même de la comparer est une source d’orgueil) passe par la promotion de la religion. C’est ici que divergent les points de vue entre Rodiguez et Galupe. Là où le premier à une conception plus nuancée et matérielle de la Foi (recherche honnête de vérités solides à apporter à ses ouailles, doutes grandissants face au Silence de son Créateur…) et donc valide l’apostasie (car un chrétien vivant et bien-portant est préférable à un chrétien mort dans la souffrance), le père Galupe conserve sa position rigide sur la pratique, qu’il résume à une hérésie. Car dans les circonstances, ce serait alors admettre que tout ce qui a précédé n’a servi à rien, y compris les milliers de têtes déjà tombées. Ces deux conceptions antagonistes s’articulent autour du symbole, de façon ironique puisque Rodriguez le pragmatique est celui qui y accorde le moins d’importance. C’est justement parce que l’action est ridiculement simple (marcher sur l’icône) que le geste est si important. Mais dès que la déconnexion entre symbole concret et spiritualité est digérée, la chose ne pose plus de problème. Mais le geste étant symbolique lui aussi, le dilemme reste donc tout à fait légitime. Toutefois, l’apostasie telle qu’elle est demandée n’empêche pas la Foi de toujours exister dans l’esprit des prêtres intégrés au japon, ni même celle des fidèles, qui étant dès lors coupés de tout lien avec le monde chrétien, se retrouve en vase clos, sans que l’on puisse juger de la dégénérescence du culte.
Ce qui m’amène finalement à parler de la thématique qui a donné son titre au film, davantage par soucis de cohérence dans la durée (pouvoir tenir jusqu’à la fin de la vie du personnage, le silence étant d’abord celui de Dieu, puis celui de l’Homme). Un précédent travail catholique, le film « Doute » (le bien-nommé) financé par Disney, posait au cours d’une homélie un concept qui me paraissait vaseux même si bien introduit : « le doute peut être un lien aussi puissant et solide que la certitude. » Le film s’approprie ici ce concept en ébranlant progressivement les convictions de son personnage, le coup de grâce venant avec le père Ferrera et ses révélations sur le Japon. Toutefois, si la Foi et l’Espoir sont bien retranscrits dans les choix visuels du film, le ton sera davantage à la désillusion, et la Vérité initialement promulguée sera strictement vécue en interne. Le film use alors plutôt de pudeur vis-à-vis de son protagoniste, atteignant son point culminant lors du premier blasphème par une voix off personnifiant le Christ, rompant donc le silence jusqu’ici instauré. C’est finalement dans cet abandon aux souffrances que le film recherche également la Foi, dans cette résignation de l’Humain en face d’éléments qu’il n’arrive pas à maîtriser ou comprendre. Un choix qu’on peut mettre alors en résonnance avec le traditionnel masochisme chrétien, qui en promouvant le sacrifice, fait vertueusement chuter le fidèle. Je pense que c’est sous cet angle que sont vus les martyrs du film, traités toutefois avec pudeur, avec les détails accentuant la gravité de leur condition. Kishijiro, un apostasié japonais redondant, est d’ailleurs cohérent avec ce contexte tordu de catholicisme, puisqu’il a besoin de pardon pour toute la culpabilité qu’il ressent (trahissant sans cesse ses proches), ce qui l’amène à avoir un comportement contradictoire, et surtout prodigieusement frustrant pour le catholique qui s’astreint à l’Amour inconditionnel promu par le Christ.
Point n’est besoin de parler de la facture visuelle et cinématographique du film, nombre de critiques ont déjà pointé la superbe photographie, les décors austères, le langage symbolique et le dépouillement de la bande originale. L’équipe a assuré question technique, et le script s’est révélé particulièrement dense pour ses deux heures quarante minutes. De part sa structure, le film chamboulera d’abord les catholiques avant de susciter des interrogations chez ses autres spectateurs. Son ancrage dans le réel lui assurant toutefois une base solide en plus de la splendide reconstitution d’époque, il ne fait nul doute qu’on tient là un des meilleurs de 2017, nouvelle consécration pour son réalisateur, qui pose un constat venant grandement nuancer le portrait d’un Mission de Rolland Joffé.