A silent voice, Koe No Katachi en japonais, est un manga de ŌIMA Yoshitoki, une jeune mangaka dont c’était la seconde série publiée entre 2013 et 2014. Koe No Katachi est adapté d’un one-shot de la même mangaka. Il comporte sept volumes édités en France par Ki-oon. Depuis elle est aussi l’autreure de To Your Eternity. Elle s’est très vite fait remarquer de part ses thèmes principaux qui sont le handicap, le harcèlement et le suicide. On peut supposer une origine à l’écriture de A Silent voice : sa mère est interprète pour la langue des signes, c’est donc un univers qu’elle connaît.
Un projet d’adaptation en anime est vite confirmé au Japon et c’est en septembre 2016, après deux ans d’attente, que A Silent voice sort enfin. Il sera sur les écrans en France le 22 août prochain. Pourtant rien n’est encore gagné car les cinémas semblent le bouder et peu de copies, une quinzaine, ont été initialement prévues pour toute la France. Mais cela n’a pas entamé ni la motivation et ni la foi que place le distributeur français Art house films dans ce film, à tel point qu’il a créé un crowdfunding sur kiss kiss bank bank pour soutenir la diffusion en France. Il a atteint son premier objectif -15 000 euros tout de même – alors que la campagne de levée de fonds est loin d’être terminée et qu’ils tentent d’aller encore plus loin.
Le plus difficile avec cette adaptation d’une série littéraire de sept tomes en un unique film était, bien entendu, de ne pas perdre le message du manga, ni sa force et son charme. Bref, son identité, sa singularité. Bien des adaptations pâtissent de n’être qu’un résumé sans âme. La réalisatrice YAMADA Naoko (K-On!) a fait appel à la scénariste YOSHIDA Reiko (Violet Evergarden) qui a fourni un travail de dingue gardant l’esprit du matériel orignal sans jamais le dénaturer. C’est avec une justesse infinie que le film aborde des thèmes difficiles.
Une histoire qui touche en plein cœur
Le film débute sur les chapeaux de roues avec un générique dynamique résumant l’enfance insouciante deSHIDA Shoya sur My generation des Who. Arrive dans leur petite classe de primaire une nouvelle élève NISHIMIYA Shoko. Elle est mal entendante, porte un appareil, mais parle très mal et préfère communiquer avec son cahier. Personne à ce stade ne parle la langue des signes et la communication avec elle se révèle difficile.
Le film alterne le présent et le passé de Shoya avec Shoko, ses erreurs, son manque de patience et ses gestes malheureux. Pour attirer l’attention de la demoiselle dans la classe, Shoya commence par quelques mauvaises blagues qui se répètent, puis les brimades se font de plus en plus nombreuses. Tout le monde ferme les yeux, même leur professeur. Shoko se retrouve seule harcelée par Shoya, aussi inconscient que mauvais. Des années plus tard, le retour de bâton sera sévère pour Shoya puisqu’il est a son tour harcelé au lycée au point qu’il n’a plus d’amis et qu’il décide de mettre fin à ses jours. Sur la volonté de Shoya, les deux protagonistes se retrouvent alors et confrontent leurs sentiments et leur douleur partagée.
La période de l’école primaire entre Shoya et Shoko est dévoilée au moyen de nombreux flash back qui sont assez bien montés pour qu’à aucun moment ils n’alourdissent le propos; au contraire ils le soulignent en mettant en parallèle leur vie passée et leur vie présente. La suite du récit se fera de façon plus linéaire. Quand on retrouve Shoya quelques années plus tard il n’a plus d’amis. Pis, il ne regarde plus personne dans les yeux, trop honteux de ses actions. Pour bien exprimer cette exclusion en partie volontaire, a été gardé le concept du manga de mettre des croix sur les visages. Elles ne tomberont que lorsque Shoya aura évolué et se sera pour ainsi dire pardonné à lui-même et aux autres. D’autres questions sont intelligemment abordées, comme : un harceleur doit-il être harcelé à son tour ? N’y a-t-il pas d’autres moyens pour faire changer les autres que de leur faire subir la même chose ?
La justesse des mots, des images et des personnages donne à cette histoire une profondeur incroyable. YAMADA Naoko respecte totalement l’oeuvre de ŌIMA Yoshitoki avec raffinement et délicatesse, sans sensiblerie ou dramaturgie excessives. C’est avec une simplicité désarmante que l’on voit évoluer nos deux héros vers l’âge adulte. Cette fois, le parcours, ils le feront ensemble, en s’épaulant et en se serrant les coudes.
Les non-dits, la peur, la méconnaissance sont des pièges dans lesquels il est très facile de tomber. Les séquences de l’enfance des personnages nous rappellent que les plus jeunes n’ont pas de filtre, sont sans nuance et manquent de patience. Il est plus simple de suivre l’effet de groupe que d’affirmer son individualité, c’est vrai en occident et c’est d’autant plus vrai au Japon où il est culturellement “obligatoire” de suivre le groupe avant d’être soi. Shoko elle-même fera des erreurs et finira par baisser les bras et partir, une nouvelle fois, se refermant sur son handicap. Le pardon et la rédemption font parti du récit et les excuses, même si elles se font des années plus tard, sont importantes.
Des personnages et une réalisation aux petits oignons
Les personnages secondaires sont importants même si certains sont bien moins développés que dans le manga et totalement dispensables. Cependant, ces seconds rôles montrent l’évolution de Shoya dans sa reconstruction. Le sœur de l’héroïne, NISHIMIYA Yuzuru, veut aider Shoko car elle sait qu’elle ne vit pas bien son handicap. Elle photographie pour cela des animaux morts, ou des objets inanimés. Elle tente de détourner sa sœur de sa dépression, en vain.
Certains personnages comme Maria ou Tomohiro Nagatsuka alias Yasho permettent avec leurs pitreries, de faire retomber l’atmosphère lourde qui aurait pu être un peu trop pesante.
Il n’y a pas de bons ou de méchants, les torts sont partagés et les erreurs aussi. C’est un cumul de ces dernières qui mènent au drame et au mal-être. L’histoire de nos deux protagonistes est décrite de façon réaliste et sans jugement, chacun d’eux avançant vers la bonne voie, mais cette fois-ci ensemble, soudés.
Les relations humaines sont comme un grand huit: elles sont faites de hauts et de bas. Elles font peur, mais il faut les affronter avec courage, comme quand Shoya saute dans une rivière glacée. A silent voice joue avec justesse avec nos sentiments. Les larmes vous viendront sans doute aux yeux… Soyez prévenus.
Côté technique, l’animation est magnifique, les décors sont vifs et colorés contrastant avec les propos du film. La réalisatrice s’appuie beaucoup sur les regards qui sont importants, et lle cadre souvent en gros plan… Ne dit-on pas que les yeux sont le reflet de l’âme ? Plus que des mots ces regards parlent donc d’eux-mêmes.
A Silent voice porte une thématique forte, celle de l’ijime, le harcèlement à l’école en français, qui est un fléau du système scolaire japonais, mais qui trouve écho dans notre propre société où de jeunes ados n’ont pas hésité à mettre fin à leurs jours à cause du harcèlement qu’ils ont pu subir à l’école ou sur les réseaux sociaux. Aux USA, la série américaine 13 reasons why en parle également avec tout autant de talent. Ce sujet est traité dans de nombreux manga et anime, mais A Silent voice en parle sous un angle neuf, avec plus de subtilités et moins de pudeur, semant l’idée que si le chemin de la remise en question, de la rédemption et celui du pardon sont difficiles à suivre, ils sont aussi porteurs de soulagement et permettent d’avancer le cœur enfin allégé et l’esprit en paix. Parce que la vie est déjà bien assez courte.
Nous remercions le distributeur du film Art house Films pour la projection presse.
Cet article a été publié pour le site Journal du Japon.