Silex and the City
4.5
Silex and the City

Long-métrage d'animation de Jean-Paul Guigue et Julien Berjeaut (Jul) (2024)

La parodie, voilà un des sous-genres de comédies les plus populaires et en même temps risibles du cinéma. Populaire, parce que certains petits malins ont réussi à développer tout une réflexion satirique, tout en réussissant à détourner des manies, des objets, des événements, des œuvres même parfois, afin d’en exagérer les codes, stéréotypes, et j’en passes et des meilleurs. Or, c’est aussi un sous-genre que je qualifierai de « facile », car il est presque humain de vouloir détourner des éléments de notre vie quotidienne pour en retenir de l’humour, et très vite, ce sous-genre a pu voir émerger des produits plus cyniques et grossiers, utilisant ces codes cités plus haut de la parodie, pour les englober dans un produit gras, aussi délectable que le pire des fast-food, cherchant à avant tout amuser par ses références et son ton décomplexé, le plus jeune et faible en quête d’une soirée pizza/pop corn entre copains. Je ne citerai aucun nom (par peur de représailles), mais on ne va pas mentir, ça n’est, au mieux, pas forcément les meilleures ambitions pour accoucher d’une œuvre de qualité, surtout avec le film du jour, cherchant à être plus acerbe et piquant que simple bête et méchant. Ce n’est cependant pas de l’audiovisuel que provient Silex and the city, mais du 9e art, la bande dessinée, où le format « strip » a permis d’extraire le peu de substance mais la grande efficacité de ce sous-genre. Ici, le film est sensé à la fois ramener l’univers de Jul sur grand écran, et aboutir en un grand récit, tenu et carré d’1h20 (générique non compris…), tout en gardant l’esprit petit malin et satirique du médium d’origine, déjà exporté au format court sériel. Un réussite pour ce projet ? Si j’en crois la cinquantaine de départ à ma séance d’Annecy, rien n’est moins sûr…

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5 ans de production, un petit million d’euro de budget, du rafistolage en pagaille, c’est comme ça a caractérisé Jul son film Silex and the city, sans parler de « l’énorme fraude » de la sélection à Cannes (bien qu’uniquement en séance plein-air), de quoi donner le ton sur l’œuvre qu’on va s’apprêter à voir, et qui n’est pas foncièrement nouveau dans le monde du cinéma d’animation. Au moins en France, où les coûts de production seront quoiqu’il en soit moins conséquents que chez nos amis Américains, et même chez des auteurs respectables et respectés, il vient un moment où il faut jouer d’astuce et de fantaisie pour se défaire du manque de thunes. Cela donne parfois lieu à de brillantes idées, qui en plus de cela maquillent le vrai problème pour de nouvelles qualités esthétiques, comme vous le verrez prochainement dans Angelo dans la forêt mystérieuse par exemple. Sauf que lorsqu’on parle de gagnants, il y a des perdants, et à ma grande tristesse, Jul et son co-réalisateur Jean-Paul Guigue ne s’en sortent qu’avec, au mieux, les honneurs, bien qu’il faut reconnaître que le matériel d’origine n’était justement pas la meilleure base sur laquelle s’appuyer pour un rendu voulu être plus « propre » et à fors-suris digne d’être projeté sur grand écran. Parce qu’autant la BD que la série/sitcom télévisée possèdent un rendu plus sale, amateur et même bricolé que sur d’autres standards autant Français qu’Américains, au format court ou plus long, cette singularité se perdra au fur et à mesure, notamment dans la seconde série de Jul, 50 nuances de grec, bien qui restant largement acceptable pour nos écrans d’ordinateur et autres téléviseurs. Sauf qu’ici, parlons de la direction artistique du film, qui m’a juste paru très fainéante, on a l’impression que le temps et l’argent supplémentaire leur a permis plus de folies (j’y reviendrai), mais aussi de mieux travailler des détails pourtant essentiels comme les ombres, les traits, les décors, etc. Cependant, rien de nouveau sous le soleil au-delà de ces quelques détails, qui à la manière du récent Kaizen (oui c’est gratuit) font cinéma mais ne sont pas du cinéma. Car côté réalisation, si l’animation 2D est plus limitée que la 3D, des centaines d’auteurs ont prouvé, via des moyens plus ou moins importants, comment transcender leur matériel d’origine, alors qu’ici, j’ai surtout ressenti que clairement, nos deux réalisateurs n’avaient pas les moyens de leur ambitions, et devaient se restreindre.

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Alors il y a quelques idées de mise en scène qui sortent de la platitude du reste du métrage, mais ces derniers sonnent eux-même kitch et fourre-tout, ça manque horriblement de substance et surtout, cela n’élève pas le reste du métrage, pire, cela l’enfonce encore plus en voyant les innombrables coups d’épée dans l’eau que distille le long-métrage. Tout n’est pas raté, qu’on se le dise, mais globalement Silex and the city pâtit énormément de ce manque de moyens, et l’absurdité qu’il essaye d’insuffler en devient bien moins prenante, pour ne pas dire morne. Sans spoiler, cela serait mentir que de dire que le duo ne s’est pas donné pour, avec les moyens disponibles, repousser les limites de leur univers, mais systématiquement, on ressent les limites de ces envies de cinéma et ambitions. Alors si l’intention est louable, le résultat est juste risible ; en plus de démolir le rythme du film part le manque de cohérence de ses idées et surtout la platitude du reste du métrage. D’autant plus dommage que lorsqu’ils restent dans les prémisses de leur univers, soit une préhistoire condamnée à ne jamais évoluer, faisant écho malgré elle à notre société contemporaine, que ce soit dans la direction artistique globale, les situations que d’autres détails, Silex and the city devient bien plus drôle, pas forcément corrosif, mais au moins un tant soit peu burlesque pour m’amuser. Certains parleront de minimum syndical vu la teneur du projet et le thème général, mais malgré leurs ambitions trop démesurées, nos deux compères n’auront pas laissé en vu l’univers d’origine qu’ils ont continué à chérir et à développer malgré tout, et cette fois-ci les efforts, certes bien moins visibles, portent leur fruit avec un travail de référencement et d’humour en général qui m’a par instants ravi sans en devenir hilarant pour autant. On retrouve ce vrai travail d’artisan et la patte de son auteur, mais c’est à s’y méprendre un peu triste de se dire que l’un des points les plus réussit d’un tel long-métrage, est ce qui caractérise son passé.

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Silex and the city est donc un film manquant du coche ses ambitions esthétique cinématographiques, mais sachant tout de même garder son adn d’un point de vue visuel autant que d’un point de vue concret et qualitatif. Dans cette mesure, surtout vu le média d’origine en question, j’aurais pu espérer que l’écriture rattrape le pas de la mise en scène. Oui, ça aurait été bien effectivement. Je ne sais pas si cela fait partit de ses références, mais franchement je ne vois pas dans quel monde cela pourrait être nié, Jul, avec ses BD, sa série et maintenant son film se place en pur héritier d’Uderzo et Gosciny. Rien que ça, certes, mais surtout sur le papier. Car le bonhomme a une imagination débordante dans ce qui constitue la majeure partie de son humour, à savoir ses jeux de mots, copiant le modèle visuel précédemment cité dans ses dialogues tous plus farfelus les uns que les autres. Jusqu’ici, tout va bien, mais l’énorme problème c’est qu’on retrouve cette ambition citée plus haut dans la direction artistique, et qui caractérise l’énorme problème de ce Silex and the city : c’est un film qui a les yeux plus gros que le ventre. Et donc techniquement, ces jeux de mots sont plutôt réussis, mais à presque aucun moment bien dosé, et plus ça avance, plus la vitalité du début se transforme pour ma part en incommensurable fatigue quand toutes les 10 secondes, une nouvelle formule fait son apparition et ponctue un texte sinon incroyablement bâclé. Car nos deux réalisateurs ont eu le désir de raconter une grande histoire avec leur long-métrage, sauf qu’en dehors de ce dit désir, la narration est quand à elle incroyablement mal branlée, et donne surtout l’impression que malgré le sujet, il n’y avait pas matière à faire au mieux un épisode spécial, notamment quand on voit ces dialogues poussifs, faisant péniblement avancer le récit ou la simplicité du scénario global, incroyablement mal dosé. Je passerai certaines aberrations d’écriture comme la présentation de 10 MINUTES qui inaugure le film par la caractérisation d’une vingtaine de personnage dont certains auront 2 lignes de dialogue, qui en plus d’être un coup mou dans le rythme dès le début, opère un sacré problème de logique quand aux priorités des metteurs en scène ; mais malgré son côté légèrement anecdotique, ce genre d’égarement incarne bien l’autre problème majeur de Silex and the city : sa narration. Elle est éclatée, et quand je dit éclatée, je ne dit pas nulle puissance 100, mais qu’elle manque totalement de contrôle, passe d’un point A à un point Z sans la moindre nonchalance, et la gestion du rythme est laissé sur le pas côté, étant donné que j’ai eu la sale impression de voir le récit constamment piétiner et ne jamais complètement creuser ses sujets.

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Car encore une fois, on sent l’envie de la part de Jul et Jean-Paul Guigue de sonder le cœur de nos sociétés et les problématiques sociales et politiques sous-jacentes, mais ici le résultat sonne plus comme une liste de course qu’un film savamment réfléchi et pensé. Cela accentue par ailleurs d’autant plus le sentiment de joyeux bordel illustré par les effets de mise en scène aussi kitsch que l’écriture est, excusez-moi du terme, raté. A y réfléchir, Silex and the city est comparable à un autre film sortit cette année, à savoir le Deuxième Acte de Quentin Dupieux, qui lui aussi, sonde notre société pour en ressortir un propos vif, acide et mal poli, plus dans une logique de rapidité là où Jean-Paul Guigue et Jul planchent sur leur film depuis 5 ans, et là où l’esthétique de Dupieux se veut plus cérébrale et complexe, celle de nos deux collaborateurs est plus décomplexée et piquante. On y rajoutera leur casting, qui ferait presque pâlir Wes Anderson tant nos deux réalisateurs se sont fait plaisir avec des personnalités plus ou moins bien choisies, mais surtout plus ou moins incongrues, mais encore une fois, derrière le fun immédiat d’une telle promesse et du rendu, reste un effort assez vain, qui ne pâli jamais réellement à la qualité de l’humour, des dialogues et du rythme global ; en plus de forcer la création de personnages tous plus creux et random les uns que les autres. Il y a un amusement certain à voir ces deux gugus dézinguer tout et tout le monde avec une joie équivoque, autant via ce rythme (trop) effréné que par l’impolitesse du tout. Je n'ai même pas parlé de la clé coudée, l'un des symboles du marketing et de l'affiche ainsi qu'élément perturbateur, car arrivant tellement tard que son développement en devient considérablement réduit et son intérêt largement diminué malgré l'amusement et le burlesque généré. Malencontreusement, c’est un maigre bénéfice face à une intrigue aussi bancale, qui peine à faire arriver son élément perturbateur et à en dénicher autre chose que le haut d’un iceberg. Des évidences, mises en scène avec une réjouissance qui prête à sourire, mais qui donnent surtout le sentiment, pour ma part, d’un autre coup manqué. Silex and the city est piquant mais jamais acide, parodique, mais pas vraiment satirique, et tout se conclut au final dans la plus grande banalité, comme si les réalisateurs assumaient un peu la stérilité de leur démarche et plus généralement, de leur film.

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Il y a des choses à apprécier face à Silex and the city, et l’aspect récréatif du projet pourra en charmer plus d’un, mais ne fait que maquiller des limites évidentes, qui empêche au projet de prendre son envol, et surtout, de totalement m’investir et me faire oublier une narration bancale, un rythme foireux et un déferlement d’idées manquant cruellement de polissage ; en résulte un projet aimable mais un film raté.

Vacherin Prod

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