Le grand dramaturge bergmanien Wilhelm Melchior est retrouvé mort au beau milieu de ses montagnes suisse du Sils-Maria. Celles-là même qui l'ont inspiré pour son chef-d’œuvre Le serpent de Maloja, titre en référence au spectacle unique qu'offrent les nuages entre les montagnes. La vedette Maria Enders (Juliette Binoche) est approchée pour tenir un des rôles principaux d'une pièce qu'elle avait déjà joué vingt ans auparavant. Cette fois-ci on lui propose le rôle de Helena, femme d'âge mûr tombant sous le charme de Sigrid, une jeune fille de 18 ans que l'actrice jouait deux décennies plus tôt. En se replongeant sur cette pièce qui a vu décoller sa carrière, Maria va être amenée à affronter le temps qui passe, à faire le point sur sa carrière et sur le statut d'actrice.
C'est grâce à Val (Kristen Stewart), son assistante personnelle, que Maria trouvera le courage pour affronter le poids du passé. Celle-ci l'aidera à cerner son nouveau personnage et à réciter son texte. Très vite la frontière entre la fiction et la réalité se résorbe. Les liens entre Val et Maria se confondent avec l'histoire d'amour que raconte la pièce. Sur certains dialogues il n'y a guère que le livre que Val tient dans ses mains pour nous faire comprendre qu'il s'agit de répétitions, et non de la réalité. Tant le texte résonne dans la relation des deux femmes. La soudaine disparition de Val n'en est que plus intrigante.
Sils Maria est avant tout un grand film d'actrices, sur les actrices. On a d'une part un choix de casting très malin mêlant des comédiennes aux parcours différents. Si le rôle de Maria sied parfaitement à la star planétaire qu'est aujourd'hui Juliette Binoche, le rôle joué par Chloé Grace Moretz entre en écho avec le chemin de Kristen Stewart en tant qu'actrice. Comme Jo-Ann Ellis, héroïne de blockbuster et (surtout) de tabloïds qui reprend le rôle de Sigrid, Kristen Stewart étonne en choisissant de travailler avec Olivier Assayas après être devenue une reine à Hollywood grâce à Twilight. Ainsi Olivier Assayas pose un regard fin sur les actrices d'aujourd'hui en faisant de la jeune vedette de son film une femme sympathique et intelligente, loin de son image détestable qu'elle se coltine sur internet. Un regard qui va à l'encontre de celui de Cronenberg qui faisait un portrait détestable de ces jeunes rongés par la machine Hollywood dans Cosmopolis, lui aussi présenté à Cannes. Le film lui-même fait écho au propos d'Olivier Assayas. Alors tête d'affiche et héroïne du film, Juliette Binoche est éclipsée par l’interprétation discrète de Kristen Stewart, auquel la caméra semble mystérieusement attirée.
Assayas, c'est la classe en toute discrétion. Trois actrices qu'on n'aurait jamais pensé voir rassemblées, et une multitude de mise en abyme sur leur carrières respectives. Un grand film et une indéfectible maîtrise.