Une adaptation risquée ?



Sin City a au moins pour mérite d'être ambitieux. Ce n'est pas tous les jours que nous assistons à une adaptation cinématographique des oeuvres cultes de Frank Miller, personnage emblématique de l'industrie des comics et des romans graphiques, qui a su nous pondre des chefs d'oeuvres à presque chaque sortie (que dire de plus que chef d'oeuvre lorsque nous lisons Daredevil, The Dark Knight Returns,...) ou des comics nanardesques, mais qui sont très rares (seul The Dark Knight Strikes Again me vient à l'esprit néanmoins). Le lecteur de comics lambda sait combien Frank Miller est un bonhomme imposant, dont l'esprit complètement barré a pour conséquences des oeuvres cultes. Mais ce monsieur déteste toute adaptation qui concerne ses oeuvres. Il refuse même catégoriquement de voir les films soi-disant "adaptés". Rien qu'à savoir que c'est adapté, il sait que ce ne sera pas le même esprit que son comic book. Le monsieur a déclenché bien des polémiques en traitant Batman V Superman il y a quelques temps... Il est vrai qu'il n'est pas aisé d'adapter ses oeuvres. Pourtant, c'est ce que Warner a réussi à faire avec ses deux films d'animation The Dark Knight Returns, reprenant véritablement l'esprit du comic book, en transposant même des cases à l'écran (chose qu'a faite Zack Snyder, mais qui a mois bien marqué les esprits -pourtant la scène du meurtre des parents de Bruce Wayne est très fidèle-). Une question fondamentale s'est posée alors :


Une adaptation doit-elle s'éloigner des sentiers battus par l'auteur de l'oeuvre transposée à l'écran, pour faire dans l'originalité et pour que le réalisateur et le scénariste proposent quelque chose d'innovant, ou est-ce qu'une adaptation doit respecter fidèlement l'oeuvre en question ?


Cette question a suscitée de nombreux débats. Civil War bientôt adaptée sur les écrans montrent bien que le titre a seulement été choisi pour son caractère promotionnel et pour faire plaisir aux fans, mais il n'est nullement question de la Civil War des comics. Pareillement pour Batman V Superman qui se vantait à ses débuts d'être l'enfant illégitime de The Dark Knight Returns, et qui est en fait un énième film de super héros lambda, qui ne propose pas quelque chose d'intense. Tant d'adaptations pourraient être citées que l'on ne s'en sortirai pas, et ce n'est pas le but de cette critique. Il faut juste se remplacer dans le contexte.


A une époque où le genre super héroïque débutait à peine, sous forme de grands échecs du côté de Marvel (que ce soit les Quatre Fantastiques, Blade ou Daredevil, monstruosité sans nom qui dénigre totalement le personnage réinventé par Miller) ou de quelques succès (X-Men, Spider Man,...), le genre était bien loin d'être développé. Par conséquent, adapter un comic book noir et sombre tel que Sin City paraissait encore impossible (les échecs successifs d'adaptations de comic books R-Rated aussi, comme Spawn). Pourtant, c'est l'histoire d'un fan et d'un de ses amis qui a permis à Sin City de se voir transposer à l'écran. Robert Rodriguez et Quentin Tarantino sont deux fanboys, bercés sans aucun doute par la pop culture des années 80, où ils puisent directement dans leurs films respectifs. Rodriguez vouait une passion pour Sin City et s'est mis en tête de l'adapter. Mais il avait compris que pour faire une bonne adaptation, il faut l'aide du créateur de l'oeuvre en question. Une collaboration entre Rodriguez et Miller a donc eu lieu, chose assez surprenante quand on sait que Miller n'aime pas qu'on touche à ses oeuvres. Mais qu'importe, ces messieurs ont bel et bien adaptés Sin City, violente série de comic books pour adultes, lancée spécialement par Frank Miller.



Un film culte ?



Je ne pense pas qu'il le soit, non, car ça serait sans doute le surestimer. Cependant, le film montre à quel point la collaboration entre deux passionnés peut aboutir à un résultat époustouflant. Le respect du côté graphique donne vie à un comic book. Ce serait presque l'impression de le lire lorsque nous regardons Sin City. C'est son esthétique si particulière qui m'a tant plu. Le choix de Rodriguez de mettre le film en noir et blanc est vraiment judicieux, renforçant l'aspect sombre du film. Certaines scènes sont à couper le souffle, si bien réussies que ça ferait pâlir n'importe quel fan de comics. Les séquences d'action s'enchaînent en même temps que les différentes histoires, qui au premier abord, n'ont pas de lien entre elles, mais qui en dissimulent certains. L'esthétique du film est d'ailleurs renforcé par l'utilisation de la couleur à différents passages, pour dénoncer quelques défauts ou insister sur des personnes. L'usage de la couleur est donc une très bonne idée (le rouge des lèvres des femmes qui ressortent, le corps de Goldie, le lit rouge, ou encore la tête jaune du méchant, les yeux verts signalant la fourberie et la traîtrise, ou encore le sang soit blanc soit jaune...).


Le film est une sorte de pulp movie, c'est-à-dire des histoires qui s'enchaînent dans un milieu de gangsters et qui ont des faibles liens. Ce genre a été initié avec Pulp Fiction, film sans doute le plus connu de Tarantino. On retrouve d'ailleurs Bruce Willis dans les deux films, qui ici interprète John Hartigan, un des seuls flics qui n'est pas corrompu dans la ville du péché, et qui tentera par tous les moyens de protéger Nancy, magnifiquement interprétée par Jessica Alba (que je n'aime habituellement pas beaucoup), même au péril de sa vie. C'est un casting en or qui se défile devant nos yeux ébahis. De nombreux personnages sortent du lot, surtout le rôle de Mickey Rourke qui est à tomber par terre (Marv est un des points les plus positifs du film, une sorte de personnage hors-la-loi surpuissant). On a aussi le droit à un défilé d'actrices toutes aussi belles et fatales que jamais, avec une actrice que l'on a vu récemment dans Daredevil. Benicio Del Toro a le droit à un rôle convenable. Même si chaque histoire n'a pas la même durée, elles restent toutes importantes, et il n'y en a aucune qui est plus mise en valeur (contrairement à Sin City : A Dame to kill for où il y a une histoire principale).


Difficile de détester ce film. Ceux qui n'ont pas aimé pourront sans doute trouver des arguments valables, ou encore être des féministes virulentes qui s'opposent à toute forme de misogynie. Frank Miller n'est pas reconnu pour son respect des droits de la femme, c'est sûr. Peut être que l'esthétique pourra en gêner certain, mais personnellement, je n'ai rien vu de plus beau que ce film, qui mêle habilement trahison et histoire(s) d'amour.


Difficile de ne pas être ébahi face à ce que nous propose le film. Un divertissement dont les défauts se comptent sur les doigts de la main, rythmé par des scènes folles, et un final très intéressant. La violence n'est pas plus exacerbée que dans d'autres films, mais c'est sans doute parce que l'esthétique du film empêche la représentation concrète des morts des personnages.


Comment ne pas aimer un tel film ? Je vous le demande, parce que pour ma part, je suis resté bouche bée face à un déluge de beauté, une claque visuelle comme j'en ai rarement dans le cinéma récent. Robert Rodriguez (et Quentin Tarantino) ont réussi l'impensable : transposer à l'écran une oeuvre culte de Frank Miller, en la respectant le plus possible. Ce n'est pas tous les jours que l'on voit un comic book en film. Époustouflant. Un chef d'oeuvre, comme cette musique qui reste décidément dans la tête.

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le 7 avr. 2016

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Marvellous

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