Les critiques, souvent virulentes, qui ont affecté le second volet de Sin City, peuvent sembler assez sévères. On retrouve en effet, apparemment, tous les ingrédients qui ont fait la grande originalité du premier opus : le visuel fabuleux évidemment, cet expressionnisme absolu, entre un noir et blanc plus que contrasté et des stridences, des bribes, des fragments colorisés ; les femmes fatales, les détectives, à la fois héroïques et paumés, désabusés et révoltés, les méchants plus que méchants, quelque part entre Raymond Chandler et l’héroïc fantasy ; les mêmes lieux, de perdition (la vieille ville, le bar borgne), la mégalopole tentaculaire, la corruption à tous les étages, l’hyper violence. On peut même apprécier les croisements, dans une confusion assez ludique, entre les deux épisodes, séquelles ou préquelles, on ne sait plus trop dans une chronologie très bouleversée où s’accumulent les revenants (dans tous les sens du terme) ; on s’adapte même au fait que les personnages n’aient plus exactement la même tête (Josh Brolin ne ressemble guère à Clive Owen et Mickey Rourke a encore bien changé) puisque que, précisément, les traits des personnages ne sont pas toujours fidèles à eux-mêmes dans l’univers de la bande dessinée.
Il y a aussi des séquences plutôt réussies, comme la scène initiale de SM entre Juno Temple et Ray Liotta, sous l’œil perché de Dwight / Josh Brolin, preuve que les scènes courtes, décrochées des grandes histoires centrales sont indispensables à la respiration du film.
Tous les acteurs sont à leur avantage, en particulier les deux monstres autour desquels tout le film est construit. Ava / Eva Green, en vamp vénéneuse et fatale, vêtue de nus somptueux ou plus rarement d’une robe bleue irradiante, l’emporte haut la main. C’est d’ailleurs un des personnages pour lesquels le recours à la couleur, la robe mais aussi le très beau contraste entre les yeux et les lèvres, est réussi – alors que par ailleurs, il peut sembler moins justifié, et que l’on finit par perdre la parcimonie fulgurante qui en faisait tout le prix dans le premier volet. Powers Boothe, au sourire aussi maîtrisé que cruel, compose aussi dans le rôle de Roark une figure de pourri plutôt convaincante.
Le problème tient justement dans le fait que l’on perd, par définition, la sidération provoquée par la nouveauté. Et il est aggravé par le fait que cette perte, inévitable, n’est compensée ici que par un excès, une surenchère dans la violence, dans le sexuel, dans le gore et dans l’action survitaminée – qui finit, très rapidement, par devenir bien lourde, totalement prévisible, très répétitive et totalement stéréotypée.
Le scénario, élément évidemment essentiel, d’autant plus que l’aspect visuel ne peut plus surprendre, se révèle rapidement assez pauvre – en particulier pour les deux histoires originales, créées pour le film (le fils revenant pour défier son père au poker, le battre et donc se faire tuer …)
On perd en fait ce qui faisait la réelle originalité, jusque dans ses approximations, du premier film : les échos, les clins d’yeux récurrents, parfois instantanés, entre des scènes éclatées, souvent assez brèves – ce qui finissait par donner au film une unité précieuse. Ici on a deux gros blocs, à la chronologie dès lors très prévisible, construits autour des deux méchants très méchants.
J’allais dire autour des deux « boss » - car le nœud du problème est bien là. On finit par perdre, sans doute dans la recherche très mal maîtrisée du renouvellement à tout prix (encore renforcée par le recours à la 3D) ce qui faisait l’originalité profonde du cartoon, ces échos précisément, ces stridences soudaines. On a effectivement basculé dans le jeu vidéo d’action, du type « beat them all », avec de multiples variantes.
Ainsi de la progression par niveaux, par paliers, où l’on va finir par affronter les deux boss, après leurs comparses, au terme de multiples tabassages interminables et après de nombreuses tentatives vaines, reprises et reprises. On est d’ailleurs dans des versions à plusieurs joueurs, certains étant évidemment éliminés en cours de route,
ainsi des personnages atteints par cinquante coups de revolvers, ou d’autres armes, qui finissent (presque) toujours par se relever, parfois après une cure leur permettant de retrouver leur score initial d’énergie ; c’était certes aussi valable pour le premier épisode (cela en constituait même un élément récurrent) mais cela finit par prendre ici des dimensions systématiques bien lourdingues,
ainsi des multiples poursuites en voiture, souvent sans aucun lien avec l’action, souvent dispensables, exclusivement justifiées par le phénomène 3D, sans autre apport évident.
Le film a ainsi « la couleur » du premier Sin City, le même cadre, les mêmes personnages – mais il n’en a pas tout à fait le goût ni la teneur en alcool. – encore moins son originalité originelle. Bref cette seconde tentative est sans doute plus inutile que ratée.