La filiation saute aux yeux dès les premières images : l’univers visuel de Benoît Chieux emprunte beaucoup à Miyazaki. Son bestiaire, son jeu sur les échelles de taille et la profusion, ses "mouvements de caméra" (le motif au cœur du film, le vent, donnant lieu à des séquences au caractère très dynamique) et même ses thématiques (éléments naturels, divinités, famille…) Trop ? Non. Le tour de force du réalisateur français est d’avoir su y incorporer une somme d’influences originales et diverses (Claude Ponti, Moebius, Paul Grimault…) qui transfigurent l'œuvre du maître japonais. Il a également su rattacher cette imagerie très riche à une intrigue claire, à la symbolique puissante. Le schéma narratif de Sirocco est donc moins foisonnant que chez Miyazaki mais Benoît Chieux parvient à donner tout autant de force à ses images en leur faisant entretenir un dialogue constant entre le réel (le monde d’Agnès, nourrice de Juliette et Carmen et auteure d’albums pour enfants) et l’imaginaire (le monde de ses livres, dans lequel les deux petites filles sont "tombées" et duquel elles cherchent à sortir). Ainsi le spectateur, évoluant comme Juliette et Carmen dans un imaginaire extrêmement riche, va-t-il de surprise en surprise, découvrant notamment – et avec émotion – le lien qui existe entre les personnages des livres et celle qui les a créés. Cette frontière entre réalité et fiction, entre créateur et création, omniprésente alors qu’Agnès est presque toujours hors-champ, est d’ailleurs matérialisée par un magnifique plafond de verre, entraperçu lors de l’envol très poétique de Selma, cantatrice-oiseau au souffle qui paraît sans fin. Une image (parmi d’autres) de nature à rester longtemps dans l’esprit du spectateur, petit ou grand, trace indélébile en invoquant d’autres : un train filant sur l’eau à la fin du Voyage de Chihiro, un cimetière aérien dans Porco Rosso ou encore un bateau "pop-pop" sur les routes inondées de Ponyo sur la falaise. Autant d’images-ricochets entre deux univers, deux auteurs, l’un ayant inspiré l’autre qui, pour autant, ne s’est pas montré moins inspiré.