Certains courants se construisent progressivement, exigent une phase de maturation pour atteindre un apogée. D’autres, au contraire, s’imposent d’emblée et, dès les origines, définissent tout un cahier des charges qui fera référence par la suite. C’est le cas avec ce film de Mario Bava, qui fonde le giallo avec éclat, avant que son disciple Dario Argento ne s’en empare et que l’industrie transalpine n’use le concept jusqu’à la corde.
Sur une intrigue plutôt traditionnelle de policier mettant en prise une maison de couture avec un tueur masqué, le réalisateur va greffer une série d’éléments qui vont forger l’ADN du genre. En ce qui concerne l’écriture, la dimension narrative est presque au second plan, et s’attache à une collectivité davantage qu’à des figures qui pourraient provoquer une identification ou un attachement du spectateur. Si les parties dialoguées, surtout vers la fin, accusent une certaine lourdeur dans leur tentative de tout expliquer, c’est le portrait général qui prime : dans ce milieu fermé sur lui-même, et face auxquels les éléments extérieurs comme la police font surtout preuve d’impuissance, tout le monde a quelque chose à se reprocher. Le journal intime d’une victime, convoité par la plupart des protagonistes en est le symptôme : les secrets (coucheries, drogue, problèmes d’argent…) sont pesants et les suspects ne manqueront pas.
Mais c’est évidemment sur le plan esthétique que se joue l’essentiel. En plaçant son récit au sein d’une maison de couture, Bava se régale dès le générique, où la caméra parcourt les lieux et navigue entre des mannequins d’osier et des silhouettes humaines sans qu’il soit toujours possible de les distinguer. Ce regard sur les figures dont on retiendra avant tout la plastique donne le ton : dans ce chamarré jeu de massacre, c’est le panache qui compte. Chaque mise à mort, dans le giallo, est une cérémonie à la gloire du cinéaste et de son chef opérateur, où se dessine un chemin affolé dans un espace retors, où les cloisons poreuses réservent des mises à mort raffinées et sadiques. L’alliance entre la beauté et la violence est travaillée à l’excès : l’érotisation des meurtres se fonde sur un soin exacerbé apporté à l’image et aux couleurs (les éclairages, volontiers irréalistes, colorent chaque embrasure d’une facticité proprement onirique), tandis que la dimension sadique violente les corps, qui son traînés au sol, lardés à l’arme blanche ou brûlés sur un poêle incandescent.
L’identification de coupables et de leur mobile reste donc très secondaire : dans l’affolement croissant de la tension meurtrière, la maison elle-même semble devenir prédatrice, et la caméra son arme de prédilection. Au terme de ce macabre parcours, un genre est né : dans la couleur et la virtuosité, flattant avec raffinement les pulsions sadiques d’un public qui n’est pas encore totalement prêt à les assumer.
(6.5/10)