Things to do in London when you're dead

Attention, cette critique comporte des spoils.

Accusée d'avoir affaibli la sécurité nationale, M. passe devant une commission dirigée par sa ministre. Celle-ci lui répète que le MI6 est dépassé, obsolète, qu'il n'est plus en conformité avec les problèmes du monde actuel. Cette accusation avait été faite à la série des James Bond depuis plusieurs années. Beaucoup de critiques (professionnels ou amateurs) pensaient que la série n'avait plus lieu d'être. Les films restaient, selon eux, basés sur un monde bipolaire Est-Ouest qui n'existait plus. 007 était dépassé, ringardisé par des héros comme Jason Bourne, par exemple.
Pierce Brosnan avait déjà répondu partiellement à cette critique. Mais depuis l'arrivée de Daniel Craig, Bond a complètement changé de visage. Le héros infaillible est devenu un homme, avec ses faiblesses et ses défauts.
Un homme mortel. C'est d'ailleurs ce qui occupe la première partie du film. Après une vertigineuse séquence d'ouverture en Turquie, les services secrets britanniques connaissent une double défaite : la mort de 007 et la mise en danger de tous les agents infiltrés au monde. M. est ridiculisée. L'invraisemblable est devenu possible.

Je ne dévoilerais aucun secret d'état en affirmant que, bien sûr, James Bond n'est pas mort. Mais envisager une telle éventualité, voir M. écrire la notice nécrologique de l'agent, c'est presque un tabou qui tombe.
D'autant plus que, si Bond n'est pas mort physiquement, il est quand même grandement affaibli, tant au physique qu'au moral. Au moral parce qu'il hésite à reprendre du service. Finalement, il est plutôt tranquille sur sa plage à se saouler la tronche. Et au physique aussi car il ne semble plus capable de grand chose. Ses tests d'aptitude reviennent négatifs : Bond n'est plus apte au service. Sa main tremble, il ne peut plus viser, il est vite essoufflé, etc.
Cette première partie est donc aussi formidable qu'inédite. L'agent et sa patronne sont presque virés du MI6. La sécurité mondiale est en danger à cause de l'agent britannique. Et un attentat touche le bureau de M.

Vient ensuite une seconde partie plus classique : enquête en Chine à la poursuite d'un tueur professionnel, puis rencontre de Séverine, qui entraîne Bond sur une petite île déserte et en ruine.
Et c'est là qu'apparaît notre méchant. Il arrive relativement tard dans le film, il reste longtemps un mystère, mais il va occuper l'écran pendant quasiment tout le reste de Skyfall. Et c'est très bien.
Là où Silva est un méchant particulièrement dangereux, c'est qu'il représente l'envers de Bond. La part sombre de l'agent. Depuis l'excellent Casino Royale, on comprend que Bond est constamment au bord de l'illégalité, qu'il est toujours tenté par la violence pure, par le non-respect des ordres mais aussi de la morale. Un agent borderline.
Et Silva, c'est ce que deviendrait Bond s'il cédait à sa violence naturelle. Silva est un taré, mais il ne cherche, finalement, qu'à rétablir une justice selon ses propres règles, sans se référer à personne. Ancien agent du MI6, il est ce qui menace constamment Bond, la face sombre de 007.
La parallélisme entre les deux personnages est encore accentué par leur rapport à M. Même si c'est présenté sans grande finesse, cette relation mère-fils est très bien vue. Silva appelle constamment M. Maman. Et, au-delà de la simple vengeance, sa volonté de "tuer la mère" est sûrement très proche de ses attirances homosexuelles (incroyable scène où il caresse Bond).

Le nouveau James Bond est donc un film dense, une grande réussite, occupant une place un peu à part dans la série. La réalisation réserve quelques très belles scènes, comme ce combat en ombres chinoises ou l'impressionnante montée de tension quand Silva se dirige vers le tribunal.
Mais l'idée de génie reste le final, dans la vieille demeure familiale des Bond, dans le paysage désolé, magnifique et inquiétant des Highlands.
Car si on veut faire de Bond un humain, loin des super-héros, il lui faut un passé. Et Skyfall est l'épisode où Bond replonge dans son enfance.
Craig est excellent. Judi Dench est excellente. Javier Bardem est inoubliable. Par contre, je reste plutôt déçu par la James Bond Girl française, loin de tenir ses promesses (il faut avouer, à sa décharge, qu'elle n'a que trois scènes).
Autour de Bond, une nouvelle équipe se forme. Saluons l'arrivée de Naomie Harris, Ralph Fiennes (qui réussit à être séduisant avec des bretelles : faut le faire) et surtout Ben Whishaw, qui interprète un Q tout en humour, symbole de cette nouvelle génération et de la volonté de donner de nouvelles bases à la série.
Même la chanson, signée Adele, et le générique sont des réussites. C'est dire à quel point Skyfall, malgré quelques petits temps morts, est un épisode incontournable de la série.

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le 11 nov. 2012

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SanFelice

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