La vie de couple soudain bouleversée est un sujet classique du septième art.
Difficile d'innover, a priori.
Sauf que Sleep nous vient de Corée du Sud, une contrée qui a su se démarquer sur la question du cinéma, surprendre et tordre les genres auxquels le pays s'attaquait à sa sensibilité propre, toute en ruptures de tons.
Ainsi, les prémisses du film dessinent une certaine idée du couple idéal, avant de mettre en scène des soudaines crises de somnambulisme déréglant le quotidien. Avant de le miner et de brutalement aggraver les symptômes. L'oeuvre convoque ainsi des accents thriller de plus en plus marqués, investissant le huis-clos de cet appartement qui ressemblera de plus en plus à un piège.
Une telle configuration aurait pu donner envie à Jason Wu, le réalisateur, de jouer au petit malin. Mais c'est tout le contraire qui se passe. Il opte pour une mise en scène basée sur l'économie de moyens et très proche de ses interprètes, sur les épaules desquels repose le film tout entier.
C'est d'abord l'épouse, interprétée par Jung Yu-mi, qui se distingue entre émotion et tension, tandis que le mari, passif le jour, endosse toute la proximité de la menace la nuit venue, nourrissant un suspens qui ne faiblit jamais. Ainsi que les questions du public, qui peut légitimement se demander si ces crises ne sont pas l'expression violente de l'inconscient du mari.
Sleep déstabilise de temps à autres, le temps d'un étonnement, d'un rire nerveux ou d'une défiance nourrie pour certains personnages secondaires qui traversent l'écran.
Tout comme il prend un malin plaisir à redéfinir les relations du couple qu'il nous a présenté en racontant le renversement de son équilibre, en livrant une histoire de lente contamination de la psychose, rappelant ce que faisait William Friedkin avec Bug. Par cette position, l'oeuvre brouille habilement les pistes de son suspens en faisant braconner son thriller jusqu'à la frontière du fantastique.
Une frontière aux allures de film de genre venant irriguer une dernière ligne droite qui semble d'une extrême simplicité, mais qui lâche littéralement les chevaux et surtout, exploite les zones d'ombres de ses personnages tout en les rendant prisonniers d'une bulle d'angoisse sur le point d'exploser.
Et si Jason Wu semble apporter une réponse franche à son scénario, il offre aussi la possibilité, via l'anti-climax qu'il filme, d'en adopter une compréhension plus désespérée qui, loin de nuire à l'oeuvre, l'enrichit et répond parfaitement à la manière duale de s'emparer du somnambulisme.
Soit une efficacité redoutable et une richesse inattendue faisant de Sleep une très bonne surprise qui donnerait presque envie de se relever la nuit, histoire de bien vérifier que sa moitié est bien de l'autre côté du lit et pas plongée dans un sommeil paradoxal...
Behind_the_Mask, en pleine fête du Sleep.