Tim, Tim au pays des fantômes
Si Sleepy Hollow est aussi réussi, c'est d'abord parce que c'est un concentré de ce que Tim Burton sait le mieux faire. On sent à chaque instant que le bonhomme s'est amusé comme un fou à faire ce film, et ce plaisir est communicatif au possible.
Alors, la rue boueuse, le décor gris, les maison noirâtres, les arbres morts, les forêts brumeuses, le moulin délabré : bienvenu chez Tim Burton ! Les amateurs du cinéaste gothique y retrouveront sa marque de fabrique pas encore exploitée de façon commerciale comme actuellement.
Parce que tout cela n'est pas uniquement un décor, cela participe à l'ambiance et même à l'action. Prenons l'exemple de cet Arbre des Morts, il n'est pas seulement là parce que Burton adore les arbres morts, il est quasiment un personnage de l'histoire.
Une histoire superbement orchestrée. Pas un seul temps mort, tout s'enchaîne avec cette logique qu'Ichabod Crane revendique dans ses enquêtes.
A propos de logique, c'est tout l'univers scientifique qui s'en prend un coup dans la figure dans ce film. Ichabod Crane arrive à Sleepy Hollow fort de ses certitudes que la science peut tout résoudre. Mais, petit à petit, on se rend compte que ses méthodes scientifiques n'apportent strictement rien. Au mieux, elles confirment des réponses que tout le monde connaissait déjà, comme lors de l'analyse du cadavre de père Masbath. De même, l'autopsie de la veuve Winship ne fait que confirmer qu'elle était enceinte, ce que beaucoup savaient déjà. De plus, plusieurs fois "la raison le contraint" à désigner un coupable et la "raison" se trompe royalement, preuve qu'il ne faut surtout pas faire confiance en la logique mathématique. La science dont se revendique Crane ne fait jamais avancer l'enquête, et Ichabod progresse vraiment lorsqu'il accepte (de force) l'idée d'un cavalier fantôme et dénué de tête.
Sleepy Hollow (et, par extension, tout l'univers de Burton), c'est la mort du scientisme matérialiste au profit d'un monde qui retrouve son enchantement, un monde de sorcelleries (noire et blanche), de malédiction, un monde où les morts existent parmi les vivants et sont aussi réels que ceux-ci, etc. De Beetlejuice aux Noces funèbres, la frontière entre visible et invisible, entre réalité matérielle et imaginaire fantastique (dans les deux sens de l'adjectif) a une forte tendance à disparaître.
Au sujet des fantômes, il faut quand même dire deux mots de ce cavalier sans tête, véritable personnage principal du film. Après tout, on ne parle quasiment que de lui, on ne pense qu'à lui, et tous les spectateurs regardent ce film en attendant impatiemment sa venue. Je ne cache pas que je trouve aussi que c'est le personnage le plus réussi, et la présence de l'excellent Christopher Walken pour l'interpréter ne fait que renforcer mon admiration pour lui. Et c'est là, une fois de plus, que l'on sent la faiblesse de Burton envers les personnages réprouvés et monstrueux. Ce cavalier ressemble beaucoup aux fantômes de Beetlejuice ou même à Edward aux mains d'argent. Après tout, il n'est quasiment qu'une victime comme une autre dans ce film.
La présence de ce cavalier aurait suffi à n'importe quel cinéaste pour transformer cette histoire en pseudo film d'horreur à deux balles, mais ce n'est pas le propos de Burton. Certes, les têtes sont coupées et tombent, le sang gicle, les cadavres sont déterrés, mais nous ne sommes pas dans un film d'horreur. Parce que Burton parvient à désamorcer l'horreur avec de l'humour d'abord, un humour essentiellement concentré autour du jeu d'un Johnny Depp formidable avec ses mimiques coincées, ses crises de terreur et ses évanouissements intermittents.
Et puis, il y a le côté artisanal du film. Il faut voir ces trucages faits main, comme lors de la visite à la sorcière dans sa tanière ou lorsque le cavalier retrouve sa tête. Bien sûr, ce n'est pas aussi impressionnant, mais c'est vachement plus beau que des vulgaires CGI.
Et puis, il y a l'aspect "hommage" qui fait de ce film l’œuvre d'un admirateur du cinéma. Qui n'a pas reconnu la présence de Christopher Lee au début du film et n'y a pas vu un hommage à la Hammer ? Qui n'a pas reconnu, à la fin, le moulin de Frankenstein ? Comme souvent chez Burton, Sleepy Hollow fourmille d'un hommage sincère au cinéma fantastique, un cinéma qui, comme ce jouet avec l'oiseau et la cage, est le domaine de l'illusion, de la manipulation, où la réalité visible est une erreur.
Sleepy Hollow est peut-être le meilleur Burton, et un des derniers bons films du cinéaste (le dernier vrai bon film sera Sweeney Todd, à mon humble avis). Et on le revoir un nombre incalculable de fois et toujours y retrouver le même plaisir, ce qui est rare.