Ah il n'y a pas de doute, on est bien chez Ferrara. Les relations sentimentales, si ce n'est les relations dans leur ensemble, décrites à travers le prisme de la violence, du mensonge, de la manipulation... Les thématiques quadrillées (pour ne pas dire mitraillées) par "Dangerous Game" (ou "Snake Eyes", histoire d'introduire un peu de confusion avec le film de Brian De Palma sorti 5 ans plus tard en 1998) s'incorporent très naturellement dans tout l'imaginaire véhiculé par le cinéma du réalisateur. Il s'agit ici d'une sorte de film biographique déguisé derrière une fiction, montrant un cinéaste à l'œuvre pour tourner un drame assez rude dont les deux personnages sont interprétés par Madonna et James Russo. Les niveaux de réalité sont multiples, il y a le film, le film dans le film, et des images documentaires dans le film qui montrent quelques extraits de séquences lors du tournage, comme pour apporter une dose de réalisme à l'ensemble. Très probablement, Ferrara entend brouiller les pistes et flouter les frontières entre ces différents niveaux pour qu'on ne sache plus vraiment où l'on se trouve à la fin, et il s'échine invariablement à montrer comment les différents personnages / acteurs se retrouvent emmêlés dans des eaux troubles, perturbés dans leur vie intime par ce qu'il se passe sur le plateau.
Et manifestement Harvey Keitel représente un double d'Abel Ferrara, il exhibe en tous cas de nombreux excès qui ne détonnent pas vraiment avec sa réputation et finit par user de manipulation de plus en plus coercitive sur ses acteurs sans qu'on ne sache toujours quelle est la véritable finalité — il y a l'objectif de terminer le tournage, mais il y a aussi des complications liées à ses relations adultères confrontés à l'irruption de sa femme, interprétée par Nancy Ferrara, sa femme à l'époque du film. Il y a un côté très Actors studio là-dedans, à insister lourdement sur le fait que le rôle des personnages déborde largement du cadre du plateau et que les deux univers se nourrissent mutuellement. On a droit à du tourment à volonté, à des références à Cassavetes et Gena Rowlands, à un extrait de Werner Herzog en personne sur le tournage de Fitzcarraldo discutant des difficultés colossales rencontrées et du doute qui l'anime, et forcément, Ferrara oblige, de la drogue, du sexe cru, des rapports de domination, etc.