Le polar, chaque pays le cultive à sa manière. En France, mis à part quelques contre-exemples, la loi est celle de la PJ. En Angleterre, la tendance est plutôt celle d’une mafia psychologique, décortiquée à l’échelle de l’individu. La preuve par trois avec Snow In Paradise, inspiré de la véritable histoire d’un ancien du milieu.
Les sales affaires, l’argent facile et les règlements de compte, Martin Askew connaît. Son script, il l’a puisé de ses souvenirs personnels. Lui, le môme de l’East End de Londres, bercé par les cafés de façade, les entrevues suspectes derrière les hangars désaffectés et les liaisons d’honneur douteuses, la mafia, il connaît. Bien sûr, la vie de Dave, son alter ego en haut de l’affiche de Snow In Paradise, n’est pas exactement la sienne. Du plus, du moins, de la romance. De l’oubli volontaire, aussi. Mais certaines pensées, certains actes collent à la peau. Une tradition so british quand on parle délits sur grand écran, de l’autre côté de la Manche. Comme une carte qui y est toujours cachée, prête à l’emploi. Car le polar anglais en a toujours besoin, lui qui présente si souvent ces losers magnifiques.
BIENVENUE DANS LE SYSTÈME, PETIT
Dave est une petite frappe. Une poussière dans les rues de Londres. Une ombre entre les honnêtes gens et les intermédiaires du vice. Il ne consomme pas, ou peu. Sort avec des perdants, comme lui. Un sous-middle class comme il en existe tant. Sauf que le vice est dans le sang. Du moins, le croit-il. Dave est le neveu d’Oncle Jimmy, joué pour le coup par Martin Askew, prenant ainsi du recul sur lui-même. Sûrement pour mieux s’abattre froidement. Oncle Jimmy est de ces dealers à la sourde violence, aux regard impitoyable. Face à lui, Dave veut une part du gâteau. Un bon gros mille-feuilles qu’il aimerait croquer à pleines dents, alors qu’il ne saurait même pas en différencier le sucre en poudre d’un rail de coke. Les dealers étant des VRP comme les autres, eux aussi connaissent la crise. Une défaillance économique, autant qu’organisationnelle. Dave s’imagine une épopée à l’américaine dans la douceur du cocon communautaire anglais. Problème : le milieu n’est plus l’un, ni l’autre. Il survit de bric-à-brac, d’alliances étrangères et de vieux parrains indiscrets.
Alors, quand on lui en offre l’occasion, Dave fonce. Il embarque son pote Tariq (Aymen Hamdouchi) dans un de ces échanges où l’intimidation est de mise. En soi, la tâche est simple. Échanger plusieurs milliers de visages de la Reine d’Angleterre contre quelques sacs de poudre. Sauf que, un peu par hubris, un peu par défaut, Dave fait mauvaise impression. Lui ne s’en rend pas compte. Aveuglé par la cour des grands qu’il vient de fouler, il prend sa commission en avance. Quelques grammes en moins, qui verra la différence ? Dans la foulée, la première paye tombe. Dave se paie même le luxe d’être courtisé par le parrain rival. Il joue le caïd. Pas pour longtemps. Oncle Jimmy flaire le petit manège de son neveu. Dans la famille, on ne tire pas les oreilles. On met des trous de 9mm dans la nuque des impolis. Tariq ne reviendra plus, disparu quelque part entre le fond de la Tamise et les murs en béton des nouveaux immeubles de Londres. Pour Dave, à peine l’ascension commencée, à peine le pied posé sur la première marche de l’escalier, déjà, c’est la chute.
ÉQUILIBRE INTÉRIEUR, DÉSASTRE EXTÉRIEUR
Perdu dans un vertige, le personnage de Dave a autant de profondeur qu’il manque paradoxalement de points de fuite. Le mérite en revient en grande partie à Frederick Schmidt, repéré clope au bec, dans la rue, « après une dispute avec son patron » de l’aveu du réalisateur Andrew Hulme, lui aussi rookie. Snow In Paradise est son premier long-métrage à la réalisation, lui, le monteur d’origine. Pour l’anecdote, Frederick n’a encore jamais joué au cinéma. Un talent brut que Martin Askew va littéralement façonner à son image. Le résultat ? Plus qu’une composition, Frederick donne à Dave une authenticité rarement vue pour un personnage issu de la rue. Sans compromis, sans surjeu non plus. Omniprésent, il aspire chaque scène, jusqu’à peut-être parfois aliéner les personnages qui l’entourent. En tout cas, ceux dont le poids de l’autorité ne l’écrasent pas. Sa fureur décuplée ne trouvera d’apaisement que dans l’Islam, en mémoire de son ami Tariq.
Son cheminement psychologique est torturé, entre pardon et loi du Talion. Bien sûr, l’apprentissage est long, complexe. Il ne se fait pas sans heurt. Alors qu’il se bâtit son équilibre intérieur, le monde autour de lui s’écroule. Alors, Snow In Paradise sombre lentement vers des ténèbres épaisses, que le commun des mortels n’a probablement jamais dû avoir à fixer. Un final qui peut sembler confus, froid, distant. Certes. Mais Martin Askew a le mérite de nous emmener vers des terres rarement explorées par les films de rue. Vers des secrets que seuls les rares qui les ont entendus, peuvent en saisir la douleur.
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