Sur l'aliénation des bourgeois et de la classe moyenne d'une société très polie et évoluée. Le protagoniste est aligné sur le monde et 'oublié' en lui – comme professionnel, comme vacancier, comme homme, mari et père. Il s'attend à ne plus devoir répondre de rien, ne plus avoir de réaction propre ni assumer de jugement difficile. Quand il pleure, c'est de façon forcée ou carrément factice. La nature ne l'a pas fait manipulateur compulsif ; simplement il ne peut plus s'exprimer que de manière grotesque et empruntée, car il ne sait pas ou plus s'exprimer.
Et ce n'est pas si mal car il n'a rien à fournir en-dehors des réponses adaptées et attendues : il n'en éprouve aucun malaise, c'est tout ce qui lui convient, assure son confort et son identité. Il est donc incapable de soupçonner le ressentiment de son épouse Ebba, elle-même renvoyée à la médiocrité de leur relation et de toute leur construction familiale, quand elle constate que la tendance naturelle au déni de son mari ne le rend fiable et agréable qu'en temps de paix parfaite. La malheureuse réalise que les serviles sont souvent de faux amis ! Alors elle s'acharne à mettre tout le monde d'accord derrière elle : quand on a perdu le contrôle et les illusions il reste toujours la possibilité d'avoir raison. Et il faut bien se sacrifier ou sacrifier, avec un niveau de hargne et de fermeté fonction du stress collectif ou de la désolation individuelle.
Incarcérés dans le 'politiquement correct' insincère, Ebba, Mats et Tomas sont terrorisés à l'idée d'être démasqués ou de se connaître vraiment. La morale publique d'une ère pacifiée est totalement intériorisée, les ressorts personnels sont sous-développés. Démunis et floués, ils craignent un retour aux instincts – ou cherchent la cellule où l'expérimenter de façon outrancière, mais collective pour se rassurer (cette prison et la licence de petits espaces récréatifs sont le prix d'une haute culture). Le film les prend au moment où ils éprouvent une perte d'authenticité et souffrent de l'absence d'épreuves ou de dynamisme du monde extérieur qui permet de se tester, que chacun se rappelle qui il est. Mais ces béances ont toujours été là et il n'y a pas de passé ou d'imaginaire propres (ni mêmes 'libres' et partagés) où s'enfuir ou se reconstruire ; d'où ce besoin compensatoire de faire payer l'autre ou d'aller se prendre une expérience vitale intense.
Je suis tout de même gêné par la lourdeur et l'étroitesse de la démonstration. Le film ne fait qu'appuyer autour d'un même sujet et l'aperçu d'une poignée de chemins possibles (des variantes de cinéma de mœurs conventionnel), présente le minimum d'à-côtés et laisse au spectateur le soin de développer ce qui lui plaira quand il reste muet ou évasif (spécialement sur l'orgueil féminin). Mais pour ses illustrations il a d'excellentes idées, dans le détail (sur l'extinction de la vie privée, la complaisance soudain rompue envers le cocooning dictatorial) ou en général – comme celle de présenter Tormund de GOT en crise existentielle : voilà ce colosse complexé par la menace d'être un père, ami et mari non-idéal, voire superficiellement gentil ! Ce viking aliéné est le boss final de la crise du masculin et d'une ère trop bêtement civilisée. The Square limitera aussi la casse grâce à quelques captures perçantes à l'intérieur de son catalogue malheureusement un peu venteux ; Play reste le plus frontal, épanoui sur son champ de nitroglycérine, pas encore gelé par l'auteurisme.
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