Support: Bluray
Spoilers
Entrée #1
Il faut traverser ce train, cette rame infernale censée nous protéger de la morsure fatale d’un monde congelé par nos soins. Nous avons été parqués dans le fond, tout juste bons à fournir notre force, nos gosses, à ceux de devant. On ne fait que deviner ce qu’ils foutent là-bas, sous les ordres de Wilson. Mais à voir la gueule de Mason, qui nous rappelle sans cesse notre place dans ses fringues improbables mais colorées, on s’y amuse plus qu’ici. La gelée qu’on bouffe est aussi noire et crasseuse que nos perspectives d’avenir dans ce ghetto claustro plus dense qu’une rue de Mumbai. Curtis, avec sa gueule de super héros dépressif, et Gilliam, le vieux sage estropié par les rixes des débuts : ils ont un plan. On va les suivre et remonter les couloirs jusqu’à la loco. On va renverser la donne.
Entrée #2
C’est la goutte d’eau. On nous a encore pris des gosses, et cette tarée de Mason a voulu faire un exemple de Andrew. Une godasse sur la gueule, un discours sur la prédestination, un membre amputé. C’était décidé, on allait lui faire bouffer son râtelier à celle-là. Ses tocards de sbires n’avaient plus de balles, épuisées comme tant d’autres choses dans notre arche illusoire, alors on a forcé, et on a avancé. On a trouvé un ingénieur qui va nous pousser vers l’avant, mais c’est un camé. M’est avis qu’il en a plus rien à carrer de ce qu’il reste de l’humanité. Sa fille, à la limite. Tant qu’il a son kronole.
Entrée #3
Nouveau wagon, des relents de Soleil Vert, une fable du monde d’avant qu'était pas si loin du compte. Ca m’fout la gerbe.
Entrée #4
Une boucherie dans les ténèbres. Voilà ce qui nous attendait. On a perdu du monde, mais on les a fait payer ces poissonniers assassins. Le doute est bien présent. Est-ce qu’on va tous crever? Est-ce mieux de mourir libre que de vivre comme une merde, à la merci des lubies de ceux de devant? Je sais plus. Curtis et une poignée sont partis devant. Nous, on panse nos blessures. On cauchemarde de cette scène hallucinée qu’on vient de vivre. Tunnel de merde…
Entrée #5
J’ai repris la route vers l’antre de Wilson, parcourant les voitures que le peloton de tête a vidé de ses occupants. Là un aquarium, ici une ferme : ces connards l’avaient bonne. Une opulence qu’on croyait réservée au passé, pendant que nous, au fond, on se coupait les membres pour avoir de quoi becter. Des steaks et des sushis… Et derrière une salle de classe, la maîtresse laissée sur le plancher une balle dans la face. Sur les murs, les enseignements pour les petites têtes blondes de la haute : une déification de Wilson, le sauveur. Une propagande vouée à les faire nous haïr, à justifier l’injustifiable, à occulter l’impensable. Mason a bien bouffé ses chicots. Je me suis arrêté et j’ai regardé à l’extérieur. La lumière du soleil. Cela faisait des années que je ne l’avais pas vue. Dehors tout est blanc, figé, mort. Et pourtant c’est beau. Le métal est effacé par la neige, et j’aurais juré avoir vu un truc bougé dans les montagnes. Mais c’est pas possible, on a commis l’irréparable, y’a pas de retour en arrière possible. Tout juste une fuite en avant.
Entrée #6
C’est fini. Quelque chose a pété à l’avant, et notre abri n’est plus. J’avais atteint une sorte de lieu de luxure, à en juger par la gueule des cadavres… Il n’y a plus que ça, des cadavres. En lambeaux. Dans des fringues insensées, du kronole plein les poches. C’est comme ça qu’ils vivaient devant? Il se défonçaient la gueule pour oublier qu’il n’y a plus d’espoir, tandis que nous, on n'avait pas le luxe d’une clope? Imprégnés du fait qu’ils étaient à leur place, et nous à la nôtre? J’ai vu les gorilles de Mason pendant ma remontée, je me suis planqué et je les ai entendu parler. Gilliam était de mèche avec Wilson, une histoire de plan préétabli, de révolte contrôlée, de quotas humains et d’équilibre sociétal. Connards. On voulait pas réinventer la roue, juste alterner les places pour changer. Mais on devait échouer. L’illusion d’un espoir pour pas que la machine s’enraye, pendant que nos gosses vont huiler les engrenages.
Je suis bloqué sous les débris, et mes membres sont ankylosés par le gel qui pénètre par le trou béant de la coque. J’en ai plus pour longtemps. Plus personne n’en a pour longtemps. Mais au moins le cycle est rompu. Je les emmerde tous autant qu’ils sont. Sauf les gosses, ils y sont pour rien eux. On leur a laissé ce monde de merde. On a vu venir ce qui arrivait, et on n'a rien fait. Finalement, on était pas mieux que les tocards de devant. C’était pas une fois dans le train qu’il fallait se bouger, c’était avant.
Une fois embarqués, on était déjà foutus.