Des rails et de la poudre blanche... Mais pas de vent, dame.
Sacré vitrine que celle de Snowpiercer. Un monde post-apo en mode ère glaciaire, un train concentrant les restes de l’humanité —autant dire un train plein de cons gelés, une révolte, une progression horizontale de l’action remontant une verticalité sociétale organisée en wagons ; autant de strates, de motifs, d’épreuves, d’étapes dans ce qui s’annonçait comme une énorme attente mêlée d’appréhension de ma part.
Bong-Joon Ho, c’était pour rassurer les cyniques du fond qui pensaient qu’un film avec un pitch aussi prometteur allait pouvoir se faire dénaturer et torcher bien dégueu comme il faut à la mode bullockbuster hollywoodien. Il n’y avait qu’à lire le nom de Chris Evans sur le casting pour y mettre sa main à couper.
Non, pour une fois je ne suis pas le cynique du fond.
J’y ai cru à ce film, j’y ai toujours cru.
Memories of Murder, The Host… Ce ton si particulier, cette poésie furtive, cette nervosité ; c’était pas possible de reproduire la cuisine américaine tiède d’un Kim Jee-Woon ou même d’un Park Chan-Wook (accessoirement producteur du présent film).
Bong-Joon Ho fait bien quelques petites concessions en limitant à peine l’impact visuel d’une violence pourtant difficilement dissimulable. On se surprend à craindre la capitulation d’un cinéaste d’ordinaire plus franc lorsque les premiers affrontements se révèlent étrangement exsangues malgré la nature des coups et des armes, on voit presque l’ombre d’un Parental Guidance. On est d’abord déstabilisé devant le rythme tempéré des premières minutes, affamé par une bande annonce vendant un concept presque mensonger. John Hurt cachetonne, évidemment, encore une fois et comme il est de coutume ces dernières années. Jamie Bell est agaçant, impatient persona représentant une jeunesse plus fougueuse qu’elle ne le sera jamais et pleine d’aspirations qu’elle ne manifestera jamais non plus dans la vraie vie ; ce qui le rend d’autant plus irritant. Et bien sûr, Chris Evans, dont le nom appelle à des épithètes tels que : américain, beau gosse, moulasse.
Eh bien non.
D’abord le réalisateur coréen ne fait aucune concession. Il prend son temps, bâtit une ambiance, construit une atmosphère. Lentement mais sûrement, il assied un univers formellement très typique et démontre vite sa capacité à filmer un milieu confiné et étroit tout en s’affranchissant des limites de son espace. Il multiplie les indices et les pistes, ayant pour effet de susciter intrigue et intérêt quant aux événements à venir et au background des personnages, couverts de zone d’ombre.
Si le fond n’a rien d’absolument révolutionnaire, brassant des idées pertinentes mais néanmoins balisées (l’homme est un loup pour l’homme, la sélection naturelle sous couvert de considérations fonctionnelles sociétales, la prédestination et son accomplissement, le sacrifice dans la balance de la survie etc .), le traitement est à la hauteur du cinéaste. Fondamentalement baroque, le récit se voit illustré sous différents aspects, souvent opposés, mais dont la complémentarité paradoxale participe à la réussite du film et du ton typique d’un certain cinéma coréen.
Rappelant les œuvres précédentes de Bong-Joon Ho, Snowpiercer se montre à la fois sombre et lumineux, minimaliste et explosif ; la violence aux tons gris se libérant lors de scènes jouissives faisant elle même place à l’absurde bariolé, le tragique succédant au stupide, saupoudré de ci de là de fuguasses touches de poésie.
Si Hurt (et Harris) cachetonnent, si Bell et la bête Swinton cabotinent un tantinet (surtout Swinton que j’aime habituellement), Evans surprend relativement, surtout vers la fin, et montre que parfois même les moules sortent un peu de leur coquille. Évidemment, Song-Kang Ho, dont la première apparition est réussie, apporte du haut de son air désinvolte un brin ahuri une grande part de ce petit supplément d’âme et de capital sympathie bénéfique à la bobine.
De ma fenêtre, Snowpiercer est une réussite. Spectacle solide visuellement riche, personnel, récit captant l’attention, parfois surprenant, mis en scène en dosant ses effets ; une attente dont la satisfaction dépasse largement le plaisir coupable ou la pépite de genre. Efficace et plus intelligent que son synopsis le laisse entendre, voilà enfin l’un des tous meilleurs film de SF ou assimilé de l’année.