Les années 80 virent déferler sur le pays de l'Oncle Sam une pelletée de complots sataniques. Un phénomène à comprendre avec la montée de l'évangélisme, mais aussi avec l'apparition d'une culture pop/geek de plus en plus "païenne", tel que Donjons et Dragons, Warhammer, etc...
J'ignore si c'est cette ambiance paranoïaque qui a inspiré Yuzna, ou simplement son goût bien connu pour les ambiances lovecraftiennes, mais dans tous les cas, son film pavient à être une foutue métaphore de cette époque...
... De cette époque, et de la nôtre, puisqu'aujourd'hui, conspis, fondamentalistes et autres consorts ont tous pignon sur rue (ou sur web).
Parce que s'il y a bien un film qui, involontairement, métaphorise le mieux "l'esprit complotiste", autant que ses limites, c'est bien Society de Brian Yuzna, sorte de Eyes Wide Shut précurseur mais plus pauvre, autant dans le fond que dans la forme.
On trouve en effet dans ce film tous les standards de la pensée conspi :
1. Vision simpliste de la Société, du bien et du mal, des riches et des pauvres.
2. Puritanisme latent, le méchant brise les tabous sexuels et moraux (les méchants font toujours des trucs comme ça. C'est pour ça qu'ils sont si méchants)
3. Présence d'un personnage qui détient la vérité, et que les gens-qui-savent veulent faire taire.
4. Anti-intellectualisme primaire. Les intellectuels, ces curés de la décadence.
Même le pire reste la fin. Car, si la fin du film fait montre d'une inventivité technique assez folle, elle incarne à la fois sa cîme et son abysse : point culminant de ses effets spéciaux, vide abyssal de son propos.
"Les riches mangent les pauvres, et ça a toujours été ainsi". Non ??? Des riches qui domineraient les pauvres ??? WAH. BREAKING NEWS. REVELATION CHOC. LES SATANISTES A LA LUMIERE DE LA VERITUDE.
Enfin, heureusement qu'ils sont cannibales, ces riches, et un peu incestueux sur les bords, sinon il n'y aurait plus d'histoire. Ou alors, juste celle de quelques ados voyeurs et coincés tombant par hasard sur une communauté de riches bartouzards consentants. "Et alors ?"
Ce "Et alors ?" est un "Et alors ?" que j'aurais envie de placarder sur tous les sites conspis de l'internet, avec peut-être une préférence pour la conspiration Qanon, dont la bêtise pousse difficilement à la tolérance... "L'Ennemi" Démocrate est accusé des pires vices et turpitudes, par contre les Républicains reliant le complot par opportunisme électoral, eux, ça va, ce ne sont plus des "Riches qui mangent les pauvres"...
Cette digression sur ce film sera peut-être jugée décalée, mais en cette époque post-covid où les complots vont bon train, il serait temps de rappeler que si certains Gouvernements se méfient des complots, d'autres savent très bien en tirer parti, tant qu'ils se trouvent du bon côté de l'accusation.
Puis, quand on voit la rapidité avec laquelle le clergé médiatique français, pourtant si prompt à dénoncer les "fake news", a parlé d'un "complot russe" lors de la montée des gilets jaunes... Agiter la parano complotiste semble bien pratique pour jeter du discrédit sur ce qui ne nous déplaît...
Un film à la façon de "Society" pertinent, aurait peut-être pu montrer cette tendance très humaine à voir les conspirations, les secrets, la malveillance et la corruption chez les autres, mais jamais chez nous... Le personnage principal du film semble d'ailleurs bien prompt à croire à la perversion de sa famille, quand, dans la réalité, on est au contraire prompt à soupçonner le reste du monde, sauf son propre "clan", même lorsque les preuves sont flagrantes. On note donc que le film n'est pas très observateur sur ce point...