En présentant les conséquences dramatiques d’un déni de grossesse hors mariage au Maroc, Sofia sonde intelligemment les racines d’une société patriarcale.
En début de film, un carton nous annonce qu’au Maroc, les relations sexuelles hors mariage sont condamnées par une peine de prison. Dès lors, on se dit qu’on va assister à un film militant mais pas très constructif, un peu comme Much Loved sorti en 2015, qui dénonçait stérilement une société hypocrite et violente envers les femmes marocaines. À l’ère post #MeToo, on est en droit d’attendre une analyse un peu plus subtile de ces discriminations affligeantes… et heureusement, c’est exactement ce que nous propose Sofia.
On rencontre donc ce personnage titre, la vingtaine, lors d’une réunion de famille où on parle essentiellement affaires. Sofia n’est guère concernée par ces discussions qui permettraient à ses parents d’enfin s’émanciper de la classe moyenne inférieure. En effet, à sa grande surprise, elle est sur le point d’accoucher et il est très difficile de trouver un hôpital prêt à accueillir une femme victime d’un déni de grossesse hors mariage. Pour éviter la prison, Sofia doit absolument faire reconnaitre l’enfant par son père, un jeune provenant des milieux défavorisés de Casablanca et qu’elle n’a jamais revu depuis 9 mois. Ce dernier se montre réticent à coopérer. Ne s’agit-il que de lâcheté ?
La réalisatrice Meryem Benm’Barek, dont c’est le premier long-métrage, nous emmène bien au-delà de ce délit de grossesse. Récompensé lors du dernier festival de Cannes, son scénario d’une sobriété et d’une efficacité redoutable s’en va questionner les aspirations et les valeurs de la jeunesse contemporaine, mais également celles des précédentes générations, dépeignant ainsi le portrait de la société marocaine urbaine toute entière. La situation de Sofia (et de toutes les autres mères célibataires marocaines) a beau être aberrante, elle s’ancre dans une réalité socio-culturelle complexe ou chacun(e) porte sa part de responsabilité. Ce film peut se voir comme un contrechamp à Mon cher enfant qui sortira fin octobre et qui s’intéresse au mal-être des jeunes tunisiens qui partent s’engager dans les rangs de Daech.
Cette maitrise d’un récit sobre aux enjeux complexes se retrouve également dans la réalisation, apparemment naturaliste mais recelant un impressionnant travail sur la composition des cadres. Les décors sont formés par des cases oppressantes, à l’image de la famille de Sofia et de la société toute entière. Plus qu’un étau, ces cases ne constitueraient-elles pas un objectif de vie pour les personnages de ce film ? Seule la direction d’acteurs – dont certains ne sont pas professionnels - vient parfois entamer l’excellence de la démarche dans quelques scènes. Cela ne suffit pas à entamer l’enthousiasme de se retrouver face à un film fin, intelligent, efficace et nuancé.