Entre 1975 et 1976 la comédienne Delphine Seyrig a rencontré des dizaines d'actrices afin de les interviewer sur leur métier de comédiennes et surtout sur leurs ressentiments de femmes vis à vis de l'industrie cinématographique. Bien avant la déflagration #MeToo et presque un demi siècle avant notre époque qui voit lentement bouger les mentalités quitte à les bousculer un peu, le documentaire dresse un portrait implacablement patriarcale du cinéma de l'époque.


Physiquement totalement absente de l'écran, Dephine Seyrig va donc tendre le micro à une vingtaine de comédiennes internationales et d'âge divers répondant à des questions qui ne sont pas énoncées directement dans le film mais dont les réponses suffisent à en comprendre la teneur. Le film Sois Belle et Tais Toi interroge donc sur l'importance prépondérante accordée aux physiques pour les comédiennes, à l'archétype des seconds rôles qui leur sont systématiquement attribués, au rapport à la vieillesse et au temps qui passe et aux maigres opportunités d'exister en tant que femme au sein d'une industrie dont absolument toutes les strates (producteurs, agents, scénaristes, réalisateurs, techniciens et critiques) sont alors majoritairement occupés par des hommes. On pourra toujours et bien sûr venir pinailler sur les propos des diverses actrices qui se livrent à l'exercice, chercher des contres exemples et des nuances à leurs propos, mais globalement et avec une grande liberté d'expression leurs paroles basées sur leurs vécus sont souvent édifiantes. La plupart du temps ces actrices se sont retrouvées cantonnées à jouer des rôles de simple faire valoir des acteurs avec lesquels elles partageaient l'affiche dans des films qui cherchaient à satisfaire une audience là encore largement édictée par des goûts masculins. La limite de l'exercice est ici que certaines comédiennes semble un petit peu mépriser leur carrière ( pas assez en adéquation avec leur personnalité) et devenir limite aigrie comme Barbara Steele (que j'adore pourtant) qui déclare assez clairement se foutre des films d'épouvantes qu'elle a tournée et encore plus des fans qui l'admire pour ça (Merci Barbara). De Jane Fonda expliquant que des producteurs l'ont incité à se faire péter la mâchoire par un dentiste pour avoir les joues plus creuses à Louise Fletcher cantonnée à des rôles avec des acteurs systématiquement plus grand qu'elle pour ne pas les frustrer, le film montre à quel point les contraintes physiques sont régulièrement plus importantes pour les femmes que pour les hommes. La difficulté face au vieillissement plus problématique chez les actrices que les acteurs est lui aussi mis en exergue et sur ce point on ne pourra pas dire que les choses ont beaucoup évolué, en tout cas moins vite que la chirurgie esthétique. Dans cette multiplicité de témoignages certains marquent plus particulièrement les esprits comme celui de Maria Schneider (magnifiquement effrontée en noir et blanc la clope au bec) expliquant la domination de Marlon Brando et Bernardo Bertolucci sur le tournage du film Le Dernier Tango à Paris. En revanche, il n'est aucunement fait allusion durant le documentaire aux discours machistes, aux gestes déplacées et aux harcèlements d'ordre sexuel, qui visiblement étaient encore complètement tabous à l'époque.


En posant certaines questions pertinentes, Deplphine Seyrig semble parfois mettre en lumière des choses auxquelles les comédiennes n'avaient même jamais penser ou prêter attention comme l'absence de scènes montrant deux femmes dans une relation chaleureuses et amicales alors qu'elles étaient régulières et communes pour leurs comparses masculins. Les différentes actrices réalisent alors effarées qu'effectivement lorsqu'elles se sont retrouvées à jouer avec une collègue féminine c'était presque toujours pour des conflits, des confrontations, des scènes de jalousie ou de rivalité et le plus souvent autour bien sûr d'une figure masculine. Là encore il doit forcément exister des contres exemples et la généralité semble un peu caricaturale, mais la majorité des actrices interrogées font alors ce constat ; les hommes s'entendent et se soutienne virilement quand les femmes se crêpent systématiquement le chignon. Techniquement et visuellement parlant le film n'a quasiment aucun intérêt si ce n'est dans son noir et blanc qui capte assez merveilleusement les visages des différentes actrices souvent touchantes dans leurs confidences. C'est du cinéma brut de décoffrage, parfois flou et mal cadré et dont l’intérêt se trouve donc uniquement dans ce qu'il raconte. En même temps le film est réalisée par une femme, fallait pas trop en demander (Rohhhh ça va je déconne !!)


Sois Belle et Tais Toi est un document assez formidable à regarder aujourd'hui avec beaucoup de recul et alors qu'au forceps les femmes commencent à bouleverser le paysage et trouver de plus en plus leur légitime place dans le cinéma. Louise Fletcher pense même qu'il n'est pas vain de penser que nous sommes tous en capacité de reprogrammer nos comportements pour effacer certains travers dictés par nos mauvaises habitudes passées et que lorsque les hommes et les femmes seront enfin d'égal à égal alors on pourra alors réfléchir ensemble à sauver la planète ; un discours pour le coup sacrément prophétique mais que beaucoup refusent toujours d'entendre. Cause d'un jour … Cause toujours

freddyK
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le 3 juin 2024

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