Richard Fleischer a choisi de placer une intrigue policière classique dans le cadre de la science-fiction, ça permet de creuser en profondeur le sujet adapté de l'excellent roman de Harry Harrison. Le film est une très grande réussite malgré un budget maigrelet (visible dans des décors réduits et du sang qui ressemble à du ketchup), et cette réussite vient de ce qu'il amplifie à peine les problèmes de notre époque, et que ce futur est parfaitement plausible. C'est d'autant plus terrifiant que l'action se déroule en 2022, on est en plein dedans.
New York est une mégapole surpeuplée de 40 millions d'habitants, les gens dorment entassés dans les escaliers des immeubles, la végétation se fait rare, le plancton marin est épuisé, la viande de boeuf est une denrée onéreuse, la ville est nimbée par une sorte de brouillard vert prophétique, à l'image de ce Soylent green, nourriture synthétique fabriquée soi-disant à base de plancton, mais je laisse découvrir avec quoi c'est réellement fabriqué, on en a froid dans le dos... bref c'est une parabole terrifiante que signe Richard Fleischer, et qui pourrait très bien être notre avenir si l'humanité continue à empoisonner la planète.
La séquence d'euthanasie du vieux Sol Roth qui contemple une dernière fois des champs de fleurs, des torrents de montagne, des rivages marins et des vols d'oiseaux sur la Symphonie Pastorale de Beethoven, est très éloquente et rappelle le danger que représente la pollution avec son cortège de destructions, de même que Thorn qui assiste à ces images derrière une vitre, est bouleversé par cette découverte.
Le réalisateur emprunte tout à la fois au 1984 d'Orwell et aux grands classiques de l'anticipation américaine, en démontrant que par rapport à notre époque, rien n'a changé socialement : les pauvres sont encore plus dans la misère, et il existe une classe de privilégiés qui vivent dans des appartements luxueux. Délaissant volontairement les gadgets futuristes et les effets spéciaux qui encombrent les films de science-fiction modernes, il brosse un panorama angoissant et inquiétant du monde de demain, l'impact en est d'autant plus foudroyant. Le film a remporté bien justement le Grand Prix du Festival d'Avoriaz en 1973.
A noter que c'est le dernier film tourné par Edward G. Robinson qui campe un vieillard attachant ayant connu le monde d'avant ; il est décédé le 26 janvier 1973, quelques semaines après la fin du tournage.