Solitude
7.8
Solitude

Film de Pál Fejös (1928)

Il est probable que, même en s’étant intéressé un minimum au cinéma muet, les noms de Pál Fejős (anglicisé en Paul Fejos) et du film Solitude vous soient peu familier. Pourtant, ce dernier eut un certain succès, et a été sélectionné pour être conservé au National Film Registry américain pour ses qualités esthétiques et son apport culturel et historique. C’est le grand film d’un cinéaste oublié, dont le souvenir doit être ravivé.


A la fin des années 1920, le monde occidental est en pleine effervescence, notamment aux Etats-Unis. Les différents progrès sociaux et technologiques, et l’évolution démographique ont transformé les grandes villes en vastes fourmilières où les foules s’amassent et se déplacent, et où les automobiles se fraient un chemin dans un dédale de rues dans un concert de klaxons. Une vie à cent à l’heure, notamment pour Jim et Mary, deux modestes citoyens américains, vivant l’un et l’autre dans leur petit appartement respectif, deux célibataires solitaires dans un monde où le groupe prévaut plus que jamais.


Cette effervescence et cette représentation de la vie que nous pourrions qualifier de « moderne » est brillamment mise en scène par le réalisateur, qui plante judicieusement le décor, en commençant par le début de la journée de chacun des protagonistes, nous immergeant dans leur intimité et leur routine. Un réveil qui sonne pour l’une, un autre qui ne sonne pas pour l’autre, un petit-déjeuner pris à toute allure, une bataille sans merci pour se frayer une place dans un bus… Le début du film suit un rythme soutenu, illustrant toute la frénésie de ce nouveau monde, appuyée par cette transition entre les deux journées de travail des deux personnages principaux du film, lui travaillant avec des machines, elle travaillant comme opératrice, devant relier d’innombrables personnes à leurs interlocuteurs. Avec un aspect parfois presque documentaire, Solitude dévoile le quotidien d’un monde où tout va vite, aux progrès technologiques galopants, le monde d’il y a presque cent ans, mais qui ressemble grandement au nôtre.


Et c’est dans sa réalisation que Solitude parvient à impressionner et à restituer l’esprit de cette époque, où le temps est une valeur essentielle. Dès le début, le réveil des deux protagonistes est filmé en plan-séquence, pour nous faire nous rendre compte du temps qui passe, et de la rapidité avec laquelle ils doivent se préparer pour débuter leur journée. Pendant que l’on voit des images de leur journée de travail, une horloge montre le temps qui passe en surimpression, alors que la caméra s’amuse à tourner d’un point de vue à l’autre, sans transition, associant progressivement cet homme et cette femme étrangers, voués à se rencontrer plus tard. Cela se poursuit lors de la grande fête en bord de mer et sur la plage, où la caméra se faufile dans une foule dense, ne perdant cependant jamais de vue nos deux héros. Devant nos yeux va alors naître une idylle en quelques heures à peine, pleine de timidité, d’espoirs et de maladresse. Alors qu’ils se cherchent, qu’elle taquine celui qui s’est épris de cette jeune femme qui lui témoigne enfin de l’intérêt, le silence se brise pour entendre de nos propres oreilles ce petit bout de conversation où chacun se présente timidement, magie du cinéma encore majoritairement muet, et qui entre dans une nouvelle ère.


Solitude est une véritable explosion de magie cinématographique, bénéficiant de toute la majorité du cinéma muet, dans sa capacité à faire parler les images, et se permettant quelques incursions parlées, jamais choisies au hasard, et accroissant encore la beauté de cette romance. Paul Fejos propose un film regorgeant de prouesses et d’idées, avec cette caméra d’une agilité et d’une élégance folles, pour raconter une histoire simple et universelle. Pour sa capacité à représenter le monde de l’époque, à la filmer magnifiquement, elle mais aussi ce jeune couple si attachant et touchant, Solitude offre un moment de grâce qui ne cesse de surprendre et émerveiller. Une œuvre trop méconnue compte tenu de sa qualité.


Critique écrite pour A la rencontre du Septième Art

JKDZ29
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le 19 oct. 2021

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