Toxic Duo.

Sophie Dupuis est indéniablement une jeune cinéaste québécoise avec laquelle il faudra assurément compter et son troisième film le prouve avec brio et majesté. La réalisatrice change à nouveau de registre après le magistral thriller dramatique et familial sous tension « Chien de garde » et l’étouffant, palpitant et tragique film catastrophe « Souterrain » qui revenait sur les mineurs pris au piège d’une mine en Abitibi. Ici, elle nous propose d’entrer en immersion dans un microcosme singulier, celui des drag-queens montréalaises. Mais dans « Solo », un film en cache un autre et l’intéressante et juste chronique de ce milieu est supplantée par quelque chose d’encore plus fort : une histoire d’amour toxique entre un jeune québécois naïf et sensible et un jeune français récemment immigré au Québec qui a toutes les caractéristiques du pervers narcissique. Méticuleusement, Dupuis décortique les mécanismes de l’emprise et de l’humiliation par un amour tout sauf sain.

Et sur les deux pans de son « Solo », la cinéaste frappe juste, bien et fort. Si le milieu de ces cabarets transformistes est dépeint avec justesse sans sombrer dans la caricature suite à ce que l’on suppose un travail de documentation conséquent, il brille plus par la mise en scène des shows que dans la peinture réelle de ce milieu. En effet, puisqu’hormis le couple vedette, on ne verra que leurs collègues au cabaret qui sont conformes aux personnages qu’ils jouent dans leur show sur scène. Pas caricatural puisque c’est un peu le fond de leur art mais pas creusés puisque toute l’attention est sur les deux protagonistes principaux et leur relation. En revanche, les shows qui sont un peu l’ossature du montage et alternent avec les moments intimes hors du cabaret sont beaux et le dernier avec le fameux solo de Théodore Pellerin est magnifique. Tel un Phoenix qui renaît de ses cendres il conclut « Solo » sur une belle note d’espoir même si la fin est un peu abrupte.

C’est d’ailleurs l’acteur qui irradie encore une fois l’écran et se révèle comme l’un des comédiens québécois les plus doués et prometteurs de sa génération. Après le brigand violent et sanguin de « Chien de garde » et le jeune accidenté et handicapé physique de « Souterrain », Dupuis fait faire à son comédien fétiche un nouveau grand écart parfaitement négocié dans le rôle de cette jeune drag-queen. Il a pris le rôle à bras le corps et sa crédibilité est toute acquise. Mieux, il nous transperce le cœur et disparaît derrière ce personnage pas facile sans jamais tomber dans le cliché. Les autres acteurs feraient presque pâle figure à ses côtés. Le drame qui se noue petit à petit et la manière dont l’emprise et la dépendance toxique se créent est admirablement rendue et fait froid dans le dos. On n’assiste pas à une histoire d’amour mais à une destruction de l’amour propre d’une personne par la frustration d’une autre.

On pourra trouver tout de même que le film se pare de facilités sur certaines scènes (l’engueulade au cabaret), l’impossibilité du numéro devant la mère et deux personnages qui auraient mérité d’être un tantinet plus nuancés. On pense à celui de Félix Marithaud dont les manipulations sont montrées un peu avec de gros sabots et la mère absente qui figure presque le cliché de... la mère absente. Mais c’est léger et la belle relation avec la sœur est à contrario parfaitement rendue. Ceux venus pour voir le milieu des cabarets à drag ne seront pas déçus pour autant puisque les deux tiers du film y trouvent leur décor et on échappe à certains clichés, comme la manière dont les drogues récréatives sont dépeintes dans ce milieu. Mais c’est cette relation malsaine qui fait froid dans le dos qui nous captive au final le plus dans « Solo ».

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