Solo : A Star Wars Story est enfin sorti, après un tournage chaotique et une campagne marketing douteuse, à l’image d’un projet dès son annonce indésirable que l’on était en droit de redouter. Si le résultat n’est en soi pas catastrophique, c’est davantage ce qu’il fige dans la mythologie « Star Wars » qui a de quoi faire rager. Insignifiant mais lourd de conséquences.


Avec « Solo », Ron Howard s’écarte de la science-fiction space-opéra pour proposer un mélange – sur le papier intéressant – entre film de gangsters, film de braquage et western. Les références à ce dernier genre sont nombreuses, avec des séquences de bars animés par les jeux d’argent, des duels, ou encore des gros plans sur les pistolets à la hanche avec la main prête à dégainer. Certaines idées de cadrage et de réalisation sont donc intéressantes, mais auraient cependant mérité d’être mieux exploitées : le braquage se déroule comme n’importe quel braquage, les références au western manquent de subtilité, et l’aspect « film de gangster » est traité de la façon la plus classique possible en reprenant tous les codes bien connus du genre.


Là est le premier défaut de Solo : tout est prévisible, aucune trahison ni retournement de situation ne surprend réellement, et l’usage répété du twist scénaristique n’est jamais justifié sinon pour faire avancer l’histoire sans que l’on comprenne vraiment les motivations des personnages. Cela coïncide avec un problème global de rythme : non, on ne s’ennuie pas, mais tout s’enchaîne si vite que l’on n’a jamais le temps de profiter d’une scène, d’un paysage, de la construction d’un personnage ou d’une relation. En 2h15, tout trouve réponse. Tout ce qui participe de la mythologie du personnage de Han Solo est présent dans ce maigre laps de temps, comme s’il n’avait rien vécu d’autre avant et encore moins après, jusqu’à sa rencontre avec Luke dans l’épisode IV. Du nom « Solo » à sa rencontre avec Chewbacca et l’origine du surnom « Chewie », en passant par son amitié naissante avec Lando et l’acquisition du Faucon Millénium : tout est là, en un temps record, s’enchaînant si vite que l’on peine à en prendre la mesure.


La question qui se pose est celle du besoin d’explication. Tout doit-il toujours être expliqué ? Car à vouloir tout expliquer, ce que l’on gagne en détails et connaissances, on le perd en magie. Et dès lors domine un sentiment de frustration, de déception, de « Ah ? C’est tout ? ». Car certaines explications son si simplistes qu’elles frôlent le ridicule et ternissent l’aura du personnage, complètement démythifié. Non pas que ce ne soit pas réaliste ou cohérent, Han Solo étant après tout un simple humain à qui certaines choses déterminantes peuvent arriver de la manière la plus fortuite et banale du monde (c’est le cas pour nous tous) ; mais c’est que le personnage tel qu’on le découvre dans le premier film se suffisait à lui-même. Il aurait mieux valu ne pas savoir, tant Solo ne permet ni une relecture du Han des autres films, ni une meilleure compréhension de sa psychologie et de pourquoi il agira de telle ou telle façon par la suite. On ne sent ni progression ni remise en question chez le personnage, d’où l’impression d’assister à une suite de péripéties insignifiantes qui n’ont de toute manière aucun impact durable sur le personnage ou l’univers. En cela, Solo : A Star Wars Story est tristement vain.


En outre, impossible de ne pas parler de l’aspect technique du film qui oscille entre le satisfaisant et l’inadmissible. Si les effets spéciaux sont tout de même réussis, les visuels sont gâchés par des fonds verts abusifs et une lumière mal gérée qui fait qu’il est parfois difficile de distinguer les visages dans les environnements sombres ou même en contre jour. Ajoutons à cela certains flous douteux et une impression constante de cache-misère (effets de fumée sur-utilisés, obscurité) et l’on obtient un Star Wars formellement laid, à la photographie ratée qui n’a plus cette touche organique et naturelle que la nouvelle trilogie a pourtant eu la bonne idée de remettre en avant. On notera néanmoins l’usage intéressant et de plus en plus récurrent de la caméra-épaule, mise à l’honneur dans Rogue One pour appuyer l’immersion du champ de bataille, bien que plus discrète ici.


Malgré ces nombreux défauts, tout n’est pas à jeter, loin de là. À considérer les caractéristiques intrinsèques du film, Ron Howard n’accouche définitivement pas d’un mauvais film. Tout comme le mélange des genres (qui aurait gagné à être mieux exploité), il y a certaines idées plutôt novatrices que l’on se consolera de retenir. Premièrement, le retour d’une dimension politique qui, quoi qu’on en pense, a su montrer son importance dans la prélogie du début des années 2000. Même si le contexte politique n’est ici qu’effleuré et les enjeux pas toujours clairs, on a au moins l’impression que les personnages se battent pour une cause qui les dépasse (et pas seulement pour une histoire d’amour lambda, heureusement écourtée). Alors oui, les conséquences de chaque décision sont (pour l’instant ?) difficiles à appréhender, mais cela participe au moins au développement de l’univers.
Autre point positif, la profusion de nouveaux designs, allant des armures aux véhicules, en passant par les créatures aliens relativement inventives ; même si encore une fois, cela donne parfois l’impression de « trop-plein », de surenchère, si bien qu’on perd en familiarité avec l’univers connu. Mais ça a le mérité de donner de nouvelles choses à voir, d’être quelque peu dépaysant.
Enfin, on retiendra deux bons personnages : Beckett, qui même s’il est écrit avec les pieds (quelqu’un a-t-il, en fin de compte, compris ses motivations ?) est campé par un Woody Harrelson toujours plein de charisme et de classe, et dont la relation presque paternelle avec Han Solo est intéressante ; et puis il y a L3-37, le droïde du film, dont la voix féministe sonne juste et qui a sans doute les meilleures lignes de dialogue, étant le personnage le mieux écrit et donc paradoxalement le plus humain.


Malheureusement le casting fait dans l’ensemble pâle figure. Alden Ehrenreich est moins catastrophique que prévu mais souffre d’un charisme inexistant et de mimiques maladroitement forcées. Le spectre de Harrison Ford plane irrémédiablement sur lui et sur le film tout entier. Ford savait être arrogant ou prétentieux tout en conservant l’image du bad boy charmeur. Ici, Ehrenreich passe surtout pour un frimeur tête à claques dont l’attitude et l’humour créent plus de gêne qu’autre chose. Pour le reste, le jeu d’acteur n’est pas mauvais mais se voit gâché par une écriture pauvre et superficielle, qui ne donne pas l’occasion au spectateur de nourrir quelconque intérêt pour les personnages et encore moins de s’attacher à eux. De plus, certains d’entre eux sont placés là de force, sans subtilité aucune, et l’on comprend immédiatement qu’ils n’ont de raison d’être que pour une exploitation ultérieure, dans de prochains longs-métrages ou dans le cadre de séries. En l’état, leur apparition n’est pas justifiée et confine plutôt à l’incompréhension.


L’interrogation principale que pose Solo est donc : « mais à quoi cela sert-il ? ». Si Rogue One avait le mérite de faire le liant entre deux trilogies en exploitant une période creuse de la chronologie, le film de Ron Howard ne fait rien avancer. Par exemple, c’eût été plus intéressant de savoir comment Lando est passé de petit joueur magouilleur à administrateur d’une cité dans les nuages, plutôt que d’expliquer comment Han Solo est passé de voyou solitaire à… voyou solitaire assis dans un cantina de Tatooine. Rien n’a changé, tout compte fait. Aucune progression, sinon du remplissage.


Solo : A Star Wars Story n’est pas un mauvais film en lui-même, mais un projet dont on se serait bien passé tant il semble ternir un mythe qui n’avait pas besoin d’être expliqué. C’est donc son caractère révisionniste qui fait sa faiblesse, plus que ce qu’il propose cinématographiquement. Il n’en demeure pas moins une œuvre sans ambition ni passion, sans saveur et paresseuse ; une impression de service minimum alliée à un fan service outrancier que les quelques bonnes scènes d’action ne peuvent compenser. Du divertissement correct ; pour la magie « Star Wars », on repassera.


[Article à retrouver sur CinéSeries-Mag]

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le 27 mai 2018

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Jules

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