A scene at the sea
« Quoi, tu veux pas payer ? Quoi, vous en voulez pas de mon film ? Ça marche pas ? Ça se vend pas ? J’fais du non-jeu moi ? バカやろう !* Vous croyez que je vais faire le clown et balancer des blagues...
le 5 févr. 2014
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20
Attention, ça va spoiler !
Premièrement pardonnez mon manque d'inspiration flagrant pour le titre de cette critique. J'aurai voulu la nommer : "Putain, ce mec est génial" ; m'enfin.
Sonatine, un film de 1993 que j’affectionne tout particulièrement car il a été réalisé par Takeshi Kitano, un grand nom du cinéma japonais et un de mes réalisateurs favoris. Kitano est connu pour ses films de Yakuza aux personnages sombres mais attachants. Et Sonatine est celui qui lui apporta la reconnaissance du public occidental. On y suit Murakawa, un Yakuza en fin de carrière interprété par Takeshi Kitano lui-même (car oui Kitano a pris l’habitude de jouer les rôles principaux de ses films, et il le fait bien !). Bien décidé à prendre sa retraite, Murakawa est pourtant appelé d’urgence afin d’aider le clan Anan dans un conflit avec un clan rival. Mais cette véritable guerre de gang va mal tourner et Murakawa va y perdre plusieurs hommes. Il va donc se cacher avec le reste de ses acolytes dans une maison d’Okinawa située en bord de mer. C’est à ce moment du film que Kitano nous montre son plus grand talent : donner de l’humanité aux personnages les plus sombres. En effet, c’est à ce moment que le propos du film évolue. Le groupe de Yakuza va plonger dans une euphorie digne d’une colonie de vacance. Kitano nous montre alors une photographie apaisante et poétique. La scène où les Yakuza s’amusent avec des feux d’artifices en est un exemple parfait. Le temps semble s'arrêter, comme si la guerre des clans n’avait été qu’un rêve. Mais cette atmosphère si paisible est fréquemment bousculée par des scènes de violence, montrant que Murakawa ne peut échapper à son destin. Kitano nous plonge dans la tête d’hommes conscients de leur mort prochaine.
A Okinawa, Murakawa et ses hommes vont voir leur destin scellé. Ils savent qu’ils vont mourir et vont alors commencer à faire ce que leur vie de Yakuza ne leur permettaient pas : s’amuser et vivre, sans craindre la mort. La fameuse scène de la roulette russe montre bien la psychologie de Murakawa. Il joue avec la mort. Il utilise même son pistolet durant la bataille de feux d’artifice. Murakawa dit quelque chose qui résume parfaitement ce changement : “A force de craindre toujours la mort, on finit par la désirer”. Et la scène finale vient rejoindre cette idée, Murakawa se donnant la mort.
Une violence réaliste
C’est une des particularité des films de Kitano ; cette façon si réaliste de mettre en scène la violence. Un moment de calme, magnifiquement souligné par la musique du grand Joe Hisaishi, est soudainement brisé par un coup de feu, un bruit sourd qui arrive sans prévenir comme si la foudre venait de s’abattre. Vous remarquerez que les scènes de violence se déroulent toujours dans le silence le plus complet. Seuls les tirs et les coups se font entendre. Kitano installe ainsi une véritable rupture dans la vie de ses personnages.
Mais bien plus que dans ses autres films, Kitano nous présente ici des personnages pour qui la violence et la peur de la mort sont le quotidien. On peut voir à plusieurs reprises les personnages rester impassibles face aux actes les plus cruels, l’air blasé, en rigolant parfois. C’est le cas dans la scène de torture où un homme est attaché à une grue et plongé progressivement dans la mer. Murakawa et son bras droit entament alors une discussion, pendant que l’homme se noie.
Jamais sans humour
Kitano a débuté avec le manzai, un style de comédie japonaise mettant en scène un duo. Et c’est sans surprise que l’on retrouve cette facette du réalisateur dans Sonatine, au travers des nombreuses scènes comiques. Tout le talent de Kitano pour la comédie est là ! Il détourne à merveille des éléments clés de la culture japonaise comme le sumo, le kabuki et les arquebusiers, détournés durant la bataille de feux d’artifice, devenant un véritable jeu d’enfants. Le duo Ken et Ryoji (interprétés respectivement par l’excellent Susumu Terajima et Masanobu Katsumura), apportent tout au long du film des situations absurdes et enrichissent ainsi son côté bon enfant.
Dans la tête de Takeshi Kitano
Ce film fait écho à de nombreuses reprises à la vie de Takeshi Kitano. Par la suite, Kitano aura le grave accident qui paralysera un côté de son visage. Dans l’autobiographie Kitano par Kitano, écrite avec Michel Temman, Kitano dit : “Ce fut au mieux un accident déguisé, peut-être, en vérité, un suicide raté”. Sonatine avait été reçu sévèrement par la critique tokyoïte. Kitano était alors tombé dans la dépression ce qui l’avait peut-être amené inconsciemment à vouloir mourir.
Comme beaucoup de ses films, Sonatine fait écho à l’enfance de Kitano et à son père, à travers l’image de la mer. En effet, dans son autobiographie, Kitano explique que son père était porté sur la boisson et enclins à de violentes colères. il dit : “Je me souviens avoir joué une seule fois avec lui, sur cette plage d’Enoshima où il m’avait emmené voir la mer”. La mer, comme dans Sonatine, est un symbole de nostalgie et de bonheur. Comme Kitano, les yakuza de Sonatine ont pu vivre un moment loin de la violence quotidienne, au bord de la mer.
Conclusion
Derrière son image énième film de yakuza, Sonatine propose une véritable immersion dans la psychologie d’hommes au destin scellé. Kitano se livre à nous au travers de personnages profonds et attachants. La mise en scène si particulière de la violence que propose Kitano, vient trancher la musique si douce de Joe Hisaishi. Ce film est le chef d’oeuvre d’un réalisateur qui rentrait alors dans la cour des grands en mêlant complexité et brutalité.
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Créée
le 24 mars 2017
Critique lue 708 fois
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