Sons
6.5
Sons

Film de Gustav Möller (2024)

Gustav Möller propose l’entrée dans ce huit clos, la prison, par un long couloir blanchâtre et un format en quatre tiers dans lesquels se perd une seule présence humaine, celle de la matonne, Eva. Sa chemise et ses yeux bleus se démarquent dans un univers rude et masculin aux couleurs fades et nous offrent ce réconfort maternel qui accompagne les premières scènes : on salue les détenus avec le même attendrissement qu’elle leur porte. Chacun a droit a une seconde chance dans cette unité 5 et même à se retrouver dans la méditation en pleine conscience, initiée par Eva, assise au centre. Ici, tout porte à croire qu’on peut se réparer.


Puis les caméras de sécurité, raccordées aux plans en hauteur nous rappellent son rôle : la surveillance et le contrôle. Une nouvelle arrivée vient troubler le regard tendre de la matonne, celle de Mikkel et décide d’être transférée dans l’unité centrale, celle des criminels sous haute surveillance.

Un revers de main à son côté maternel ? Non, évidemment, puisque les balbutiements de cette femme seule se font entendre dans ce mensonge faussement construit, face à un directeur de prison qui ne voit pas plus loin que le manque de personnel. C'est pourtant dès cette scène que Moller nous glissera le sujet du film avec subtilité : assumer son enfant.


Cette fausse crédibilité du challenge dont fait part Eva se retrouvera un peu plus tard, avec ce plan presque trop long - nous laissant dans cette insupportable fragilité - des mains feignant de ne jamais trouver de cigarettes. Première crise pour le détenu dangereux, premier moment de jubilation. On serait presque soulagés, si Gustav Möller nous épargnait pas la perversion, qu’il déploie sans limite : du crachat dans le repas aux excréments jetés en pleine figure, à ce coup monté aussi ridicule qu’il atteindra alors les limites de cette pauvre mère orpheline d’elle même.


Si l'on croirait être enfin soulagés, ne nous méprenons pas : Gustav Möller nous fera accompagner Eva jusqu’au bout de ses fragilités, acceptant l’impossible et inversant les rapports. La soumission de la matonne face aux caprices enfantins d’un jeune homme malade nous ramène une nouvelle fois à son propre échec.

On revient alors à la raison : quand l’unité 5 rappelle, c’est presque Simon et son meurtre invisible qui ressurgit pour lui rappeler que si elle avait choisi d’être matonne, c’est avant tout pour réparer son absence auprès de son fils, de ses fils. Cette scène, celle de l’urgence avec une course effrénée dans laquelle seule Eva se lance nous fait retomber d'épuisement avec elle devant l’inéluctable : la disparition, matérialisée par le sang.


Elle ne pourra aller au bout de ses plaies même lorsque la longue écoute du prêtre, figure d’un possible dernier repenti, nous poussait a croire que c’en était fini. Même devant Dieu, elle n’avouera pas ses faiblesses. Elle devra aller encore plus loin pour trouver comment se repentir. Eva ira jusqu'à offrir ce moment de permission impensable à un détenu comme Mikkel : en réalité, elle n’offrira rien de plus qu’une confrontation des plus gênantes entre une mère et son fils, se nourrissant elle-même, en tant que spectatrice, de ce fantasme de récupérer l’irrécupérable. Le dernier regard qu’elle jettera à cette mère désespérée dans la fine ouverture d’un portail, un jour pluvieux, nous ramène à cette compassion d’une mère perdue.


Il en est presque terminé, mais le chantage devrait durer encore et encore, en boucle, dans l’esprit d’un enfant meurtrier. C’est alors que le masque tombe. On croirait à la fin de ce cercle long et infernal mais l’étouffement ne pourra aller au bout, le souffle de Simon étant encore trop présent, jusque dans les longues expirations d’Eva et ici, de Mikkel. C’est sur cette fin mémorable que Gustav Möller nous laissera, avec la présence fantôme d’une existence que l’on aura perçu qu’au travers du sadisme d’Eva. Elle, ne repartira que comme elle est arrivée, par ce couloir sans âme, enfermée entre quatre murs.

Claratouille19
10
Écrit par

Créée

le 22 juil. 2024

Critique lue 177 fois

4 j'aime

Claratouille19

Écrit par

Critique lue 177 fois

4

D'autres avis sur Sons

Sons
Cinephile-doux
7

Comme une porte de prison

Après le brillant exercice de style qu'était The Guilty, le cinéaste suédois-danois Gustav Möller reste déterminé à faire frissonner son public avec son deuxième long-métrage, Sons, à l'écriture et à...

le 10 juil. 2024

9 j'aime

Sons
Claratouille19
10

Un huit-clos aux murs de chair

Gustav Möller propose l’entrée dans ce huit clos, la prison, par un long couloir blanchâtre et un format en quatre tiers dans lesquels se perd une seule présence humaine, celle de la matonne, Eva. Sa...

le 22 juil. 2024

4 j'aime

Sons
EricDebarnot
6

La haine, et après ?

Dans L’ennemi public – l’un des « films de gangsters » les plus célèbres de l’histoire du cinéma, probablement inconnu de 90% des spectateurs qui voient Sons, le nouveau film de Gustav Möller (qui...

le 13 juil. 2024

3 j'aime

2