Sons
6.5
Sons

Film de Gustav Möller (2024)

Dans L’ennemi public – l’un des « films de gangsters » les plus célèbres de l’histoire du cinéma, probablement inconnu de 90% des spectateurs qui voient Sons, le nouveau film de Gustav Möller (qui avait attiré notre attention avec son The Guilty) – James Cagney écrase un pamplemousse sur le visage d’une femme. Sons possède une scène quasiment similaire, avec une charge émotionnelle plus forte encore, puisque c’est sa mère que Mikkel (Sebastian Bull) humilie ainsi. On réalise alors – si on connaît L’ennemi public – que le visage de l’acteur évoque celui de Cagney jeune, avec ce mélange incompréhensible de séduction et de cruauté animale. Il serait intéressant de savoir s’il s’agit-là d’une coïncidence ou d’une volonté réelle du réalisateur de se référer au trouble et à la fascination que générait l’acteur légendaire, mais c’est en tout cas une piste de lecture du film.

Sons est proche de The Guilty, de par le talent qu’a Möller pour créer des atmosphères anxiogènes en se contentant d’un minimum « d’effets de cinéma », au delà de l’image quasiment carrée qui enferme ses personnages et figure une seconde prison – mentale – au sein de la prison physique où se déroule son histoire. Eva (Sidse Babett Knudsen, comme toujours fascinante de justesse et de subtilité, dont on peut dire qu’elle porte le film) est une gardienne de prison dévouée et aimant son métier, chose difficilement compréhensible vu de France, où l’enfer carcéral a peu de points communs avec les célèbres prisons « civilisées » de Scandinavie. Mais Eva a un secret qu’elle n’a pas dévoilé lorsqu’elle a été recrutée par l’administration pénitentiaire, et ce secret va resurgir lorsqu’un prisonnier extrêmement dangereux, Mikkel, arrive dans le quartier de haute sécurité de la prison. Eva voit l’occasion d’exercer sur Mikkel une vengeance qu’elle attend depuis des années… mais la confrontation entre ces deux êtres débordants de haine ne se passera – évidemment – comme Eva l’entendait.

Sons est un film terriblement noir, quasiment accablant, Möller prenant la décision de rendre ses deux personnages totalement obscurs, bloquant toute empathie que nous pourrions ressentir envers eux, et de les placer dans des situations de confrontations extrêmes, où les sentiments « humains » n’ont plus lieu d’être. Ou en tout cas, c’est ainsi qu’il construit la première moitié de son film, la plus impressionnante, le plus réussie.

Là où le film s’effrite, c’est quand le rapport de force entre Eva et Mikkel se retourne, au moins partiellement : on saisit que Möller veut nous dire que tout n’est pas si simple, qu’il est finalement impossible de se définir uniquement par la haine que l’on ressent (envers la société, envers l’autre), et que quelque chose finit inévitablement par surgir. Mais (et est-ce un problème d’écriture, ou bien est-ce dû justement au fait que Sebastian Bull n’est pas James Cagney, et n’irradie pas une beauté et une séduction suffisantes ?), Sons ne matérialise pas cette « confusion des sentiments », cette ambigüité qui serait la vraie richesse de son sujet.

En termes de référence, plus évidente que celle de L’ennemi public, on pense alors à ce que les Frères Dardenne ont fait avec Le Fils sur un sujet tout à fait similaire. Et on réalise que Möller, en dépit de son indéniable savoir-faire, manque encore de « quelque chose » (de subtilité ? ou pire, d’humanité ?) pour faire un grand film à partir d’un sujet aussi complexe.

[Critique écrite en 2024]

https://www.benzinemag.net/2024/07/13/sons-de-gustav-moller-la-haine-et-apres/

EricDebarnot
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le 13 juil. 2024

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