Sorcière
4.9
Sorcière

Film de Neil Marshall (2020)

L'hypocrisie de la bonne parole des persécutés ?


Lorsque les pois ou les poireaux bouillent dans le pot qui est mis hors du feu, sachez alors qu'il n'y a nulle sorcière en la demeure.



Neil Marshall est un cinéaste que j'affectionne particulièrement, étant fan de "Dog Soldiers", "The Descent", "Doomsday" et même de son décrié Hellboy.  Un cinéaste solide capable de créer des films atmosphériques conséquents et de garantir une générosité dans les actions véhiculées tout en iconisant intelligemment ses personnages autant masculins que féminins. '' Basé '' sur une histoire vraie située en Angleterre en 1665 avec les fameuses chasses aux sorcières qui ont conduit approximativement 500 000 femmes innocentes à être accusées d'être des sorcières et à être exécutées pour cela, '' Sorcière : Cinq jours en enfer '' marque le retour du cinéaste dans le genre horrifique autour d'un sujet aussi passionnant qu'effrayant qui avec le talent du réalisateur aurait pu être l'occasion rêvée de plonger le spectateur dans un univers médiéval-fantastique percutant et qui malheureusement se contente de déverser dans un cahier des charges de la bien pensance sans la moindre nuance, à un point où tant pis si tout devient superflu tant que le message est bien passé. Mais comment Neil Marshall en est arrivé là ?


Le problème réside dans le scénario et dans sa manière de dépeindre son histoire qui autour d'un sujet absorbant et électrisant devient quelque chose de finalement standard malgré des idées très intéressantes. L'histoire de Grace ( Charlotte Kirk ) accusée à tort d'être une sorcière car ayant refusée de coucher avec son propriétaire "Pendleton" qui voulut profiter de celle-ci après la mort de son mari, et qui fera appel au chasseur de sorcières ''Judge Moorcraft ( Sean Pertwee ) '' pour la juger et qui comme par hasard n'est autre que le bourreau ayant exécuté pour sorcellerie des années plus tôt par le bûcher la mère innocente de Grace. Le récit se transforme alors en film de vengeance où Grace doit endurer les tortures de Moorcraft qui veut lui faire avouer son allégeance au Diable, tout en préméditant la mort du propriétaire et du chasseur.



C'est parti pour les clichés et les raccourcis faciles ! Par ici le cahier des charges des belles causes humaines ! Coup de gueule :



Dans un premier temps, Neil Marshall se concentre sur l'élément principal qui démontre comment la population en arrive à croire que Grace est une sorcière. Aussi surprenant que cela puisse paraître il a simplement fallu que le propriétaire (rabaissé dans son orgueil d'hommes en ayant échoué dans sa tentative de viol contre Grace) dise dans un bar que c'est une saleté de femme, à quoi répondent les occupants de la taverne par une moquerie en précisant qu'il dit cela parce qu'il n'a pas réussi à coucher avec elle. Du coup : '' sorcière ! '' Bein oui logique ! Les autres clients à deux de neurones après une seconde de réflexion valide finalement instantanément cela, car en plus elle a osé demander un emprunt d'argent au gérant du bar, et qu'en plus son mari mort était trop bien pour elle et qu'elle avait dû l'ensorceler. Voilà, voilou ! De qui on se moque ? Grace est donc enfermé, torturé et condamné au bûcher sur des rumeurs de débiles dans un bar par quelques abrutis bourrés.


À partir de là c'est parti pour les clichés et la bien pensante à foison, on arrête plus la machine initiée par Neil Marshall. La meilleure amie de Grace est une femme soumise frappée par son mari demeuré qu'elle va devoir tuer pour s'émanciper et s'élever. Le propriétaire est un riche tortionnaire qui méprise les pauvres. Les hommes de Dieux des illuminés abjects à la gloire du Seigneur. En gros, tous les hommes sont des salopards violents qui ne savent pas se tenir avec les dames, et les femmes des victimes. Le seul homme épargné (un jeune adolescent) est lui aussi une victime innocente persécutée par les hommes car il n'est pas très intelligent, gentil et obèse. Faut bien aussi lorgner du côté de l'égérie obèse persécutée ! La chasse aux sorcières n'est finalement dû qu'à de la misogynie poussée à son extrême paroxysme.


Un moment donné j'ai presque cru à la nuance, avec un constat pas très glorieux autour de deux femmes qui participent à toute cette folie mais qui bien entendu ont finalement une excuse : entre l'une qui est une gitane ayant accusé avec mépris Grace de sorcellerie par jalousie mais qui trouvera une rédemption en l'a sauvant à la fin; et l'autre, qui n'est autre que le bras armé du chasseur et de Dieu qui participe aux tortures de Grace (avec une torture abjecte par pénétration forcée d'un gourdin avec écarteur), mais qui est excusable (normal quoi) car en fait c'est une victime du patriarcha ayant fait cela parce qu'elle est soumise au chasseur qui l'a modelé à son image après des tortures et lui a donc pas laissé le choix.


Désillusion ! C'est vraiment dommage car le sujet est très intéressant et avait tout pour être pertinent autour du sort réservé à '' certaines femmes ''. Seulement, tout est servi en gras dans une sauce émancipation de la femme contre l'homme oppresseur sans aucune finesse en diabolisant à tout va. Un manque de réflexion sûr de la réflexion utile, et de subtilité sûr de la subtilité historique. Par moments on n'est pas loin de l'overdose comme le démontre le final, avec une Grace sortant de l'eau une épée à la main, lavée des péchés de l'homme, devenant le nouveau symbole de la libération des femmes dans une position quasi Christique. C'est rageant car le film n'est pas mauvais et le sujet aurait pu être véritablement brillant, surtout de la part d'un cinéaste qui a toujours su sublimer et affirmer les femmes dans ses films mais qui dans un excès de conformisme d'actualité finit par trahir l'artifice initial.



Le pourquoi du comment : la face hypocrite des donneurs de leçons ? Le mal de notre siècle ? Accrochez-vous bien :



Pour comprendre le basculement de Neil Marshall il faut plonger dans son intimité puisque celui-ci est fiancé à la jeune comédienne principale de ce film. L'actrice Charlotte Kirk. Amoureux, le cinéaste a voulu faire un projet commun avec sa tendre moitié. C'est ainsi que Sorcière : Cinq jours en enfer voit le jour. Scénario écrit en duo avec Charlotte Kirk dans le rôle principal et Neil Marshall à la réalisation. Charlotte Kirk ayant voulu développer le sort réservé aux femmes auprès d'un patriarcha totalitaire. Jusque-là l'idée est bonne, sauf que hypocrisie quand tu nous tiens Charlotte s'est déjà retrouvé dans deux affaires de scandales sexuels typique d'Hollywood. 


Extrait article :
Premier scandale. Ron Meyer, véritable titan de l’industrie, vient de se faire licencier à cause d’une liaison apparemment assez dangereuse pour ébranler le milieu. L’identité de la femme impliquée dans cette relation n’est pas restée secrète longtemps : les médias ont rapidement rapporté qu’il s’agissait de Charlotte Kirk. Kirk n’était âgée que de « 19 ou 20 ans ». À l’époque, Ron Meyer avait entre 67 et 68 ans.
Apparemment il s'agissait d'un accord commun entre les deux où pour du sexe il y aurait des rôles à la clé.


Deuxième scandale. Le PDG de Warner Bros. Kevin Tsujihara démissionnait après, là aussi, un scandale sexuel. En effet, le Hollywood Reporter avait dénoncé les pratiques de l’homme d’affaires, qui aurait encouragé un directeur de casting à engager Charlotte Kirk, avec qui il entretenait une liaison en 2014. Les messages entre l’actrice et le PDG de Warner Bros. suggèrent que celle-ci aurait consenti à des relations sexuelles avec l’homme, qui devait, en échange, lui présenter des dirigeants influents d’Hollywood, et l’aider à décrocher des rôles. Dans un texto, Charlotte Kirk indique clairement qu’elle juge que cette entente n’a pas été respectée.


« Tu es très occupé, je sais, mais quand nous étions dans [un] motel et que nous faisions l’amour, tu as dit que tu m’aiderais, et quand tu m’ignores comme tu le fais en ce moment, ça me fait sentir utilisée, aurait-elle écrit. Vas-tu m’aider comme tu avais dit que tu allais le faire? »


« Désolé que tu te sentes comme cela, aurait répondu Kevin Tsujihara. Richard va te contacter ce soir. » Il parlait alors de Richard Brener, un haut placé du studio New Line, affirme le Hollywood Reporter.


Un avocat de Kevin Tsujihara a catégoriquement nié les accusations, affirmant que « M. Tsujihara n’a eu aucun rôle direct dans le choix de l’actrice pour un rôle dans un film ». L’actrice elle-même dit n’avoir rien à reprocher à Brett Ratner, James Packer et Kevin Tsujihara. « M. Tsujihara ne m’a jamais rien promis », a-t-elle précisé dans un communiqué. Brett Ratner aurait également demandé à l’actrice de cesser d’importuner Kevin Tsujihara. « C’est un homme marié, qu’est-ce que tu penses? », lui aurait-il écrit. « Si tu veux baiser quelqu’un pour un rôle, ce devrait être un réalisateur ou un producteur », aurait-il ajouté dans un autre échange.
Fin extrait article.


La belle magie d'Hollywood ! Libre à Charlotte Kirk de mener sa barque comme elle le pense car après tout chacun avance comme il peut et avec les cartes qu'il détient. C'est pourquoi je me passe de tout commentaire abusé et insultant à son propos. Seulement, je trouve ça terriblement ironique et hypocrite de vouloir diluer des messages de femmes victimes de patriarcha totalitaire lorsque nous mêmes y avons grandement contribué.



Revenons au film. Le positif !



Malgré les défauts relevés Sorcières : Cinq jours en enfer, n'est pas épouvantable comportant de très bon points qui m'empêche de lui mettre moins de la moyenne. Le récit avance vite et bien que l'histoire soit induite par un trop-plein de dénonciation un peu grossier et fourre tout, on se prend à l'histoire qui s'articule autour d'un concept dur, moche, sinistre et brutal qui démontre l'horrible brutalité subie par les femmes à l'époque accusées de sorcellerie. Visuellement, le travail est remarquable ! Les effets spéciaux sont excellents, la mise en scène est soignée à travers une riche palette de couleurs qui apporte une atmosphère par moments sublimée par une scénographie de taille. Le gore devient graphique par le biais d'un esthétisme qui durant certains plans atteint la perfection comme durant l'accouplement imaginaire entre Grace et le Diable. Néanmoins, on regrettera un peu de gratuité dans les plans révélés puisque les images stylées du diable sont totalement gratuites car fantaisistes. Ou bien, Neil Marshall a réellement voulut transmettre le doute au spectateur quant à savoir si c'est réellement une sorcière qui se fait visiter par le Diable, mais dans ce cas c'est un vrai loupé car passé les 20 premières minutes on a tout compris. Un grand bravo à la composition musicale atmosphérique qui prend aux tripes avec une partition d'orgue sombre et frissonnante idéale pour transmettre des émotions. 


La distribution est bien jouée ! Sean Pertwee en tant que Judge Moorcraft chasseur de sorcières connu est excellent. En grand habitué du cinéaste celui-ci est fidèle à son poste en proposant une incarnation solide. La distribution secondaire fait du bon boulot.
Charlotte Kirk est impeccable proposant un jeu efficace tenant avec conviction le premier rôle. La torture qu'elle endure est difficile via des scènes assez graphiques mais jamais totalement dans la démonstration ce qui n'est pas plus mal. Malheureusement, notre suspension d'incrédulité en prend un coup puisque malgré les jours de tortures atroces qu'elle subit la comédienne reste magnifiquement belle. Pire, après le fouet, les perforations par des lames, la pénétration d'un écarteur qui lui fait perdre des litres de sang, celle-ci se relève ne souffrant que de quelques ecchymoses qui ne l'empêchent pas de se battre contre ses bourreaux et tout en restant toujours aussi belle. Neil Marshall, j'ai bien compris que tu es amoureux comme un fou de Charlotte Kirk mais s'il te plaît pense à ton film.



CONCLUSION :



Sorcière : Cinq jours en enfer, est un film esthétiquement sophistiqué qui régale les yeux mais perd de sa valeur à cause d'un mélodrame archaïque au potentiel conséquent qui gaspille ses chances en tombant dans une caricature de tout ce qu'il essaye de dénoncer au point de devenir banal. Un long-métrage certainement animé de bonnes intentions (quoique...) qui sacrifie le fond à la forme sur un sujet qui essaye justement de tirer sa force de son contenu dramatique.


Où est donc passé le Neil Marshall du génial The Descent qui avait sublimé comme rarement les femmes ?
Réponse : Entre les bras de sa bien-aimée Charlotte Kirk.

B_Jérémy
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le 8 janv. 2022

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