Ah le pied ! Ah quel joyeux bordel ! De la bonne bouffe, de la musique aux petits oignons, pas mal de picole, une pincée d’amour et de sentiments, voilà bien un film qui sait réveiller nos appétits et flatter nos instincts premiers. Déluré et délirant, Soul kitchen fonctionne comme une sitcom avec deux doigts dans la prise et cinq bières dans le nez : des trentenaires un peu immatures, une rythmique de groupe, des emmerdes et du cocasse, des intrigues amoureuses qui vont et qui viennent… D’une belle sincérité jusque dans ses défauts que l’on pardonne les yeux fermés (tempo inégal, situations téléphonées, personnages parfois caricaturaux), Soul kitchen ravit surtout pour sa bonne humeur générale, sa décontraction groovy et son besoin de ne pas se prendre la tête.
Et puis il y a cette bande originale qui décoiffe et arrache les papiers peints (Tarantino is so dépassé), playlist énormissime (du rock, de la soul, de l’oriental cool) à défriser le mouton en moins de deux, et à écouter plus vite que ça ici pour tous ceux encore sains d’esprit et adeptes d’un minimum de bon sens (les titres Disko de Jan Delay et Manolis O Hasikilis de Shantel sont des invitations à faire la bringue jusqu’à pas d’heure et à tenter d’aller bosser le lendemain avec une sympathique gueule de bois).
Fatih Akin, délaissant un temps les drames du quotidien (le très beau Head-on et De l’autre côté), s’amuse ici avec les ressorts de la comédie en suivant le parcours désopilant de Zinos (Adam Bousdoukos, génial en Cro-Magnon bobo et maladroit) dans les affres de la restauration, de l’engagement et de la rupture, dépassé complètement par les événements qui lui tombent sur le coin de la figure. C’est de ces galères existentielles, absurdes, que naissent les éclats de rire, entre un plan drague en boîte de nuit (la scène est superbe, Anna Bederke ondule parfaitement), une soirée endiablée qui vire à l'orgie, un cambriolage tout foireux et une séance mémorable de "médecine douce" chez un physiopracticien à n’en plus dormir la nuit ; même la sonnerie ringarde du portable de Zinos (I want to be your man de Roger) devient un gimmick irrésistible, à l’instar de ses problèmes de dos gratinés (l’hernie discale du siècle).
Mélange délicieux des cultures, des saveurs et des sonorités, Soul kitchen swingue et caracole jusqu’à un happy end doux sucré mais pas bête. Zinos et sa bande de bras cassés (un frère relou, un cuistot à pas trop énerver, un pilier de bar grognon…) offrent un spectacle sans complexe et bourré d’énergie qui file la patate, de celle qui donnerait presque envie de les retrouver fissa dans de nouvelles aventures.