Les douceurs de Suède
Il est saisissant de constater comme il est facile de s’enfermer dans des idées préconçues, de se laisser guider passivement par des préjugés que l’on peut avoir sur l’œuvre d’un cinéaste. Il est...
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le 21 oct. 2015
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Il est saisissant de constater comme il est facile de s’enfermer dans des idées préconçues, de se laisser guider passivement par des préjugés que l’on peut avoir sur l’œuvre d’un cinéaste. Il est rassurant de réaliser comme il est aisé de changer d’avis lorsque l’on a finalement décidé de retenter l’aventure.
Ma première expérience du cinéma d’Ingmar Bergman est vieille de bientôt dix ans – le visionnage de « Monika » en classe de seconde proposé par un professeur de français cinéphile. Si le gamin de l’époque n’a pas du manquer d’être émoustillé par les formes généreuses d’Harriet Andersson, de « Monika » n’est resté qu’un profond sentiment d’ennui. Ajoutez à cela que l’adjectif le plus souvent employé par mes proches à propos du cinéma du maître suédois a été – et reste toujours – le mot "chiant" et vous comprendrez que je n’aie pas été pressé d’en redemander.
Et pourtant… !
« Sourires d’une nuit d’été » est une réalisation de 1955, donc antérieure aux succès de l’année 1957, miraculeuse pour le maître. Le film traite, sur le ton de la comédie de mœurs légère, de l’amour et des relations conjugales.
Fredrik Egerman, un avocat mondain propre sur lui, a épousé en secondes noces la très jeune Anne, qui a l’âge de son fils. Soupçonnant bien légitimement le bougre de vouloir piétiner ses platebandes, Fredrik cherche désespérément une stratégie pour venir à bout des réticences de la belle, qui lui refuse sa vertu depuis deux longues années. À partir de là, un cortège de personnages hauts en couleurs va faire son apparition, et le film ne va cesser d’aller crescendo.
On retrouve dans les films les thèmes favoris de Bergman. Tout d’abord le théâtre, à tous ses niveaux : une mise en abyme (théâtre dans le film), des personnages acteurs, des dialogues d’inspiration théâtrale et des scènes que n’auraient pas reniées Marivaux. L’enjeu principal du film réside dans l’étude des relations entre hommes et femmes, en questionnant plus particulièrement ici la différence d’âge. Il est intéressant de constater qu’ici, ce sont les femmes les véritables héroïnes de la pièce. De la plus humble servante à la plus digne comtesse, en passant par la maîtresse flamboyante et passionnée, elles sont toutes sublimes et magnifiées par la caméra audacieuse du cinéaste – par ailleurs connu pour être l’un de ces réalisateurs se faisant un devoir de séduire ses vedettes féminines. Ce sont elles qui règnent en coulisses et tirent les ficelles, manipulant sans peine les hommes qui prétendent les conquérir.
Les hommes, de l’autre côté, en prennent pour leur grade ! Ils sont vains et vaniteux et souvent affublés de caractéristiques grotesques (la barbe impeccablement coiffée pour l’un, le monocle pour l’autre). Paradant tels des paons, ils s’attachent à comparer leurs mérites, ce qui donne lieu à autant de combats de coqs cocasses que Bergman tourne joyeusement en ridicule (à ce titre, la dernière scène du film est l’une des plus géniales que j’ai vues depuis « Adam’s Rib »…).
Comme toujours chez Bergman, la composante formaliste est virtuose. Le rythme, un équilibre subtil, un art ô-combien délicat à maîtriser, est ici parfaitement dosé. L’action s’accélère doucement, mais sûrement, et le récit est ponctué de quelques scènes décisives, culminantes – et souvent hilarantes – portées par un casting d’une très grande justesse. Hormis le fils Egerman (Björn Bjelfvenstam), un peu trop pleurnicheur et inconséquent, tous les acteurs et actrices sont merveilleux et proposent autant de performances, clairement caricaturales, mais toujours drôles et originales. Il convient de saluer celle de Jarl Kulle, qui a rarement du autant s’amuser qu’avec le rôle grandiloquent et éminemment jubilatoire du comte Malcolm !
On a pu accoler de nombreux adjectifs à Bergman : austère, abscons, dépressif… mais tout le génie du réalisateur est d’avoir su, au cours de sa longue carrière, varier et mêler les tons avec une égale maîtrise. Ainsi, le Bergman des « Sourires d’une nuit d’été » a peu en commun avec le conteur sombre et pessimiste – mais fascinant – du « Septième Sceau ». En revanche, il se rapproche beaucoup du poète rêveur et optimiste des « Fraises Sauvages » (pour lequel je dois confesser une nette préférence). D’ailleurs, le cinéma d’un des plus grands fans de Bergman vivants, un certain Woody Allen, ne cache pas l’influence que le maître suédois a pu avoir sur ses productions. Ce qui est intéressant, c’est de voir qu’Allen n’en a finalement gardé presque que la comédie.
« Sourires d’une nuit d’été » est une excellente comédie, aux dialogues acérés et à l’humour fin et incisif, qui n’épargne ni les hommes, dépeints comme risibles et arrogants, ni les femmes, légères et manipulatrices. Au final, c’est encore une délicieuse friandise que nous propose le maître, que les intonations mélodieuses de ses somptueuses actrices rendent encore plus savoureuse.
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Créée
le 21 oct. 2015
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