J'avais lancé ce film il y a longtemps. J'étais crevé par les cours, je me suis endormis. J'avais dû en déduire que c'était un truc chiant qui ne valait pas le coup. En plus j'avais vu sur internet que ça avait été le plus gros bide du tandem Gabin/Audiard à sa sortie, et la dernière des douze collaborations du "vieux" avec Grangier. Bref pour toutes ces raisons je n'ai pas pris la peine de lui donner une nouvelle chance pendant des années. Et finalement, après quelques retours positifs vus à droite à gauche, je l'ai regardé en entier. Et c'est une relative bonne surprise.
Disons que c'est un tout petit film dont l'intrigue ne vaut pas un clou (c'est adapté du roman "fin de journée" de Roger Vrigny). Mais Grangier en profite pour filmer, avec son application habituelle, la vie de ses contemporains. Il s'attarde sur les détails, nous introduisant efficacement dans divers environnements, sa caméra étant toujours mobile. On sent un regard très juste porté sur la bourgeoisie française de l'époque, voyant arriver le changement à grands pas, se plaignant dans un réflexe réactionnaire "qu'on lui met tout sur le dos".
D'ailleurs c'est encore d'actualité. Pas plus tard qu'hier sur twitter j'ai pu lire à propos de l'affaire Sarko qu'on "s'acharne sur les riches mais jamais sur les pauvres pour le même délit. En France on est jaloux de la réussite des autres". Un mépris de classe qui fait un peu saigner des yeux mais que Grangier a sû capter. Difficile de dire quel point de vue il adopte car le public est toujours du côté de Gabin. Mais ce n'est pas si grave, l'essentiel c'est qu'on croit à ce personnage.
C'est un Gabin vieillissant qui trouve un rôle à sa mesure. Un riche industriel qui dans les dernières années de sa vie voit son contrôle lui échapper. Et il s'offre un baroud d'honneur, donnant toutes les tripes qu'il lui reste. L'intrigue met du temps à démarrer, mais tout cela se suit avec un certain intéret malgré la photo tristounette et pâlichonne de l'époque où la Gaumont venait de passer à la couleur. Il y a certaines fulgurances dans les dialogues d'Audiard, qui donne tout dans une dernière scène assez plaisante.
On retrouve quelques trognes habituées à ce monde là, dont Robert Dalban, Miche Auclair, Fernand Ledoux, et surtout Suzanne Flon qui est à nouveau la compagne de Gabin, sept ans après "Un singe en hiver".
Mais le vrai morceau de bravoure du film (montré par Bertrand Tavernier dans son documentaire), c'est la scène du bar, où Audiard place un petit bout de la biographie de Gabin pendant la guerre. Un ancien comparse pas très net (joué formidablement par Alfred Adam) parle de ses affaires, un peu nostagique de l'occupation même si il se défend d'être un collabo. Il a plus gagné "en un mois avec les amerloques qu'en quatre ans avec les fritz". Et il demande à Gabin ce que lui faisait dans ce temps là. Et le vieux, ancien résistant engagé volontaire, de répondre simplement, froidement, avec la pudeur qu'on lui connaît : "sur les plages".