Je ne voulais pas me renseigner sur l'histoire avant d'aller voir le film. Je ne connaissais de lui que le titre, la bande-annonce originale, et le fait qu'il s'agissait de l'adaptation d'un conte britannique. Je savais aussi que le film avait connu un accueil désastreux au Japon (pour un Ghibli), et que le premier long-métrage de Yonebayashi ne m'avait pas particulièrement séduit. Alors, je me suis lancé dans Omoide no Marnie un peu à l'aveuglette, en espérant la bonne surprise sans pour autant l'attendre.
J'ai eu raison, parce que je me serais gâché ce petit plaisir, ce petit moment de doute à mi-film environ, qui m'a pourtant mis mal à l'aise sur le coup. La première moitié de la séance est assez convenue, pas tellement surprenante, voire presque contemplative. Les décors sont agréables et l'animation réussie. Quelques indices par-ci par-là laissent bien entrevoir un dénouement plus dramatique, mais ils ne concordent pas, et puis il y a quelques incohérences. Lorsque j'ai commencé à douter de la réalité, j'ai compris que les choses allaient prendre une tournure plus intéressante. Alors que le film avait presque failli me perdre, j'ai été d'autant plus attentif ensuite que j'ai compris que j'avais fini par tomber dans le panneau, car on entre finalement dans l'histoire et dans la psychologie d'Anna par une porte qui était bien cachée, tout comme la petite fille elle-même couvre ses sentiments.
Là où pour moi, Hiromasa Yonebayashi réussit, c'est qu'il s'est joué avec beaucoup d'habileté du piège de la paternité Miyazakienne. Car finalement, comme les autres spectateurs, même en ayant fait l'effort de rester hermétique à l'histoire, je me suis présenté à la séance avec mes petites attentes, mes petites habitudes de spectateur Ghibli patenté et j'ai tenté d'appliquer ma grille de lecture habituelle à une oeuvre que je m'attendais à voir dans la continuité. Elle est bien dans la continuité, c'est vrai ; je ne suis pas sorti de la salle avec le sentiment d'avoir été trompé. Plutôt, c'est moi qui suis tombé dans le panneau. Car là où Miyazaki imposait le génie de son improvisation à l'oeuvre de Diana Wynne Jones pour dessiner le Château Ambulant, Yonebayashi a su se montrer plus calculateur vis-à-vis de l'oeuvre de Joan G. Robinson, avec une narration maîtrisée de A à Z. Pendant que je cherchais à anticiper "l'effet Ghibli", le jeune réalisateur a su me mener aveuglément là où il le souhaitait.
Yonebayashi a donc réussi du premier coup là où Goro Miyazaki patine encore pour le moment : s'émanciper de la figure paternelle de Miyazaki. Condition indispensable à la survie du studio Ghibli. Ghibli n'est pas mort...
Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur.