Je suis Cuba, Je suis la Foi en le Cinéma !
C'est simple, si l'on devait faire un inventaire des plus belles techniques cinématographiques, le support utilisé serait sûrement ce long-métrage.
Tout y est : profondeurs de champ, fondus-enchaînés, zooms, plongées, contre-plongées, flous, travellings, échelles de plans, caméras subjectives, panoramiques, cadences et angles de prise de vue, sans oublier ces fabuleux plans-séquences époustouflants et j'en passe.
L'exploitation du noir et blanc atteint ici son paroxysme avec de sublimes clairs-obscurs, de sublimes contres-jours, de sublimes contrastes et de sublimes plans expressionnistes. Les jeux d'ombres et de lumières sont omniprésents pour mettre en valeur les expressions du visage, les grains de peau, les paysages, l’architecture ou encore les mouvements des personnages.
Depuis toujours, le cinéma a été utilisé comme un instrument de pouvoir aussi bien politique que culturel et social. A la base, "Soy Cuba" était donc, comme beaucoup, un pur produit de propagande, issu d'une commande de l'URSS de Khrouchtchev. Pourtant cette intention s'efface totalement grâce au talent d'un cinéaste aguerri. Derrière la caméra, nous retrouvons un poète esthète en état de grâce, Mikhail Kalatozov.
Il s'agit de quatre chroniques symboliques sur l'histoire du Cuba Pré-Castriste des années 50. Quatre récits indépendants les uns des autres, centrés sur les portraits de personnages archétypes de l'idéal révolutionnaire communiste. La mise en images de ces différents tableaux de la vie cubaine permet d'illustrer et de poser des regards sur les bouleversements politiques et sociaux de cette époque.
Empreinte d'une nostalgie boulversante, la séquence d'introduction plaçe déjà la barre très haute. La caméra survole avec langueur les terres paradisiaques de cet Ile de Cuba, affichant une sérénité déroutante. Tel un doux murmure, la voix-off repète sans cesse avec conviction et acharnement deux mots : Soyyyyy Cuubaaa ... (Je suis Cuba). Cette petite phrase récurrente incarne la longue quête identitaire d'un pays, d'un peuple, qui semble parler d'une seule voix, uni malgré les différences et les antagonismes évidents.
Une subtitle transition nous mène dans un environnement radicalement différent. Celui de l'effervescence des fêtes, notamment dans les restaurants, les bars, les hotels, où les riches se la coulent douce, tandis que les pauvres survivent à peine à la sueur de leurs fronts :
° Maria, une jeune fille mutique, charmante et sensuelle contraint de se prostituer aux vacanciers pour gagner sa vie, ce qui souligne par la même occasion la décadence des touristes américains
° Pedro, un petit paysan miséreux, un vieux cultivateur de cannes à sucre en détresse quand on lui apprend que son terrain a été vendu à une société américaine, ce qui denonce la cruauté et les mefaits du capitalisme.
° Enrique, un jeune homme abattu froidement en pleine rue par la Police, alors qu'il distribuait des tracts pro-castristes, en participant à une manifestation estudiantine.
° Mario, un paysan réculé de tout, contraint de rejoindre la guérilla, c'est-à-dire de s'engager dans les forces révolutionnaires, pour sauver sa Famille et son Ile.
Opposant constamment les américains, comme imbus de leur bétise et de leur richesse, aux Cubains, comme des victimes fières et courageuses, le film s'enferme, comme l'on pouvait s'y attendre, dans des clichés et des banalités révolutionnaires. De plus, les lourdeurs symboliques ne nous sont pas épargnées, même si elles peuvent prêter à sourire tant elles sont caricaturales. Légèrement longuet sur la fin, il serait sans doute préférable pour certains spectateurs de le visionner en plusieurs fois pour mieux profiter du spectacle (Les 4 histoires sont indépendantes).
Au délà de la propagande didactique prônant un idéal utopique, c'est avant tout une déclaration d'amour touchante à l'Ile de Cuba, à son peuple, défendant tout le long la richesse et la diversité de cette culture. C'est également une puissante déclaration d'amour faite au Cinéma ainsi qu'à son potentiel artistique et technique presque sans limite. Une oeuvre prodigieuse qui est parvenu à retranscire avec justesse, le climat éphèmere d'un pan de l'Histoire.
En conclusion, un choc esthétique sans précédent, une symphonie visuelle d'une audace graphique inégalée, qui nous ferait presque oublier ces quelques défauts. Un poème fulgurant à ne louper sous aucun prétexte ! Que dois-je dire de plus pour vous convaincre ?