Soyez Sympas, Rembobinez aurait pu en rester à son argument de départ. Celui, loufdingue, de la comédie perchée et lunaire, offrant de suivre deux zozos évoluant au sein de leur petit monde. Celui d'un inoffensif anar conspirationniste et d'un gentil benêt qui ne voit pas plus loin que le bout de son nez.
Le film aurait pu en rester à sagement illustrer le patchwork monde cher à son réalisateur Michel Gondry, toujours aussi original, surprenant, minimaliste et tout simplement beau à sa manière. En forme de coffre à jouets débordant de malice et d'envie.
Et l'on aurait quand même été conquis par l'absurde, le déjanté, la débrouille, les bouts de ficelle, l'ingéniosité et l'enthousiasme déployés dans le retournage de classiques immortels à la sauvette, à l'arrache, sans grands moyens, comme avait pu s'y essayer, en 2019, Shin'Ichiro Ueda avec son généreux Ne Coupez Pas !. Car on ne peut qu'être conquis par l'énergie de ces deux grands enfants en train de créer, une caméra à la main, des films, leurs films, passés à la moulinette de l'à peu près, tutoyant une sorte de nouvelle mythologie.
Mais seulement retenir ces deux aspects de Soyez Sympas, Rembobinez s'avèrerait des plus réducteurs, voire criminels. Car avant tout, Michel Gondry parle avec passion de notre rapport aux cinéma et aux oeuvres qui se trouvent suédées, grands classiques ou séries B, sans distinction ni hiérarchie, tout au long des cent minutes de projection. Car le film nous interroge sur notre manière de les appréhender, de la façon dont elles nous imprègnent et se frayent un chemin dans nos souvenirs et notre inconscient. Pour mieux ausculter ce que l'on garde d'elles en nous : une scène, une atmosphère, un plan, la manière dont la mémoire les malaxe et les fait vivre en se les réappropriant peu à peu.
Soyez Sympas, Rembobinez, se présentera aussi comme une sincère déclaration d'amour au cinéma, art qui survit malgré tout au temps qui passe, à la standardisation, aux transitions technologiques, au monde qui mute autour de lui, par la préservation, par la transmission, par la réinterprétation, par la participation à sa réalisation , par la passion qu'il continue de susciter et d'entretenir.
Car les films fauchés et brinquebalants de Soyez Sympas, Rembobinez magnétisent, réunissent, transcendent les différences et la mise à l'écart social des habitants du quartier. Jusqu'à cette dernière projection clandestine toute aussi improvisée que touchante venant à déborder dans la rue, faisant naître une sorte de grâce qui n'a rien d'accidentelle ou de préfabriquée.
Vu avec les yeux de 2021, cette dernière projection nocturne pourrait être interprétée comme un acte de résistance pacifique de la culture ciné que l'on continue à museler depuis bientôt un an, dans un pays qui l'a pourtant promue au rang d'exception avec des trémolos dans la voix, de ceux que l'on réserve hypocritement dès lors qu'il s'agit de se pâmer et de se lancer des fleurs.
Il ne sera dès lors pas très surprenant que l'on ressente, avec douze ans de décalage, la même émotion, la même mélancolie et le même enchantement devant l'histoire un peu enjolivée de Fats Waller, du quartier un peu délabré où il est censé être né, et surtout, de toutes ces petits mains passionnées, emportées par l'entrain de quelques doux rêveurs nourrissant une constante utopie généreuse et communautaire.
A l'heure où les salles ne sont pas prêtes de réouvrir, on se dit qu'il y a de quoi sourire... Tout en versant quelques larmes de dépit.
Behind_the_Mask, fais le toi toi-même.