Le Subjectif et l’Objectif.
Deux frères rivaux schizophrènes qui s’affrontent dans les arènes publiques depuis que l’Homme est capable d’exprimer un avis un minimum personnel. Dans tous les Arts, comme les sciences et les politistes, ces deux notions, indiscutablement ambassadrices de notre vision globale sur le monde, s’amusent à défier le Temps en transposant l’Amusement comme la Damnation dans le cœur d’artistes, possédant eux-mêmes un avis sur leur création. Pour le cinéma, cette confrontation est exacerbée par un mystérieux renversement de valeurs, devenu possible notamment grâce à l’empathie que l’image animée crée plus facilement que les autres Arts car lui offrant une vivacité commune à la nôtre, qui peut prendre le dénominatif de nanar. La notion de plaisir coupable, encore différente, participe à la désacralisation de la Grande Œuvre, pouvant être réfléchie mais prétentieuse, pour se rapprocher de la Petite Œuvre, légère mais décontractée. Tout spectateur a besoin de ces deux approches, et sa plus haute satisfaction se réalise lorsque ces deux démarches fusionnent, avec une touche stylistique personnelle. Mais, forcément, il est beaucoup plus facile de prendre de haut une Petite Œuvre lorsque nous avons pris conscience de ce que représente une Grande Œuvre, et cela peut même créer des complexes culturels. A notre époque, avec les réseaux sociaux tout-puissants et les anonymes disciples d’une pop-culture pouvant dominer Hollywood, ce phénomène est amplifié, les gens choisissant de plus en plus quel film doit être apprécié et lequel ne doit pas l’être. C’est, selon moi, un contre-sens dans l’histoire même de l’Art et de la réflexion humaine. Chacun doit savoir séparer le Subjectif et l’Objectif sur une œuvre, et chacun ne devrait pas juger la vision, forcément personnelle, de chaque personne à propos de sa corrélation de ces deux notions avec le film en question. Cela parait bateau ou évident, mais c’est malheureusement toujours aussi peu appliqué, sur ce site y compris. Il n’y a rien de mieux pour dissiper la curiosité culturelle. Pour moi, ça ne signifie rien de dire que l’on est cultivé, c’est hyper vague comme notion : je suis très cultivé sur les westerns spaghettis, OK, mais mon pote en face m’éclate la tête lorsqu’il s’agit d’aborder les films de super-héros, et le troisième pote nous met la misère si on aborde les mangas. Lequel de nous trois est le plus cultivé ? Et encore, là je reste dans la sphère cinématographique, ma mère est 100 fois plus cultivée que moi au sujet de l’agriculture. C’est absurde de déterminer qui a les savoirs les plus dorés : il n’y a que des centres d'intérêt Subjectifs. Objectivement, tout le monde est cultivé, tout le monde n’a pas la même culture c’est tout. Pour prendre un exemple personnel très simple, j’adore « Fatal » subjectivement, mais je suis amplement d’accord pour dire que « Certains l’aime chaud » est carrément meilleur : l’important, c’est le respect de l’apport subjectif au détriment de l’objectif pour certains contextes, comme l’éveil à des valeurs durant l’enfance ou carrément un sauvetage moral, comme ce fut mon cas avec « Fatal ».
Pourquoi ce pavé très condensé à ce sujet ? Parce que, plus que n’importe quel autre film, « Space Jam » m’a complètement mis face à cette bataille entre le Subjectif et l’Objectif, mais pas de la façon que l’on pourrait penser. Et ce pour un fait très simple : je n’ai pas grandi avec ce film, et je n’ai vécu que la fin des années 90. Du coup, moi, je ne peux que voir le mercantilisme ahurissant du film, enchaînant les placements de produit aussi discrets que Crunch dans « Les Visiteurs 2 », les exploitations de notoriétés différentes et la production visiblement pressée de surfer sur la tendance de l’époque (le public durant le match, sans déconner…). Rien que le principe de base. OK, c’est rigolo, pour revenir au Subjectif cela m’aurait certainement fait rire de voir Zidane cracker un ordi avec les haut-de-front de Code Lyoko, mais c’est le genre de principe qui tient parfaitement sur une publicité et pas sur un long. Sur un long, ben ça devient une publicité géante… Le générique, à mes yeux de p’tit gars n’ayant pas grandi avec ce film, est complètement ouf d’égocentrisme. Outre sa longueur, ça ferait presque propagande pour la NBA ! De toutes façons, l’histoire… C’est un véritable mixeur d’idées les plus susceptibles d’attirer les gamins (E.T + parc d’attraction + basket = shut up and take my money, mom). Le je m’en foutisme général crée des incohérences comme des invraisemblances innombrables (le meilleur exemple restant, nanardesque, la réaction de Jordan lorsqu’il arrive dans le monde des Looney Tunes) ; il n’y a pas de séquence d’entrainement et fondamentalement le basket n’est qu’un prétexte ; le match n’a aucun sens, mais cela aurait été pardonné si c’était cartoonesque et c’est pas le cas ; niveau humour, avec les Looney Tunes, il y avait carrément matière à faire bien, bien mieux ; le schéma narratif est bien entendu du copier-coller sur des tas de films pour enfants. C’est con, parce que malgré tout les Looney Tunes sont formidablement écrits ! Ils ont réussi, globalement, à restituer l’état d’esprit des personnages (à défaut de celui des cartoons eux-mêmes), et à conserver leur charisme qui a tant traversé les générations. C’est d’ailleurs l’une des raisons pour laquelle cette immense campagne de com 90’s est restée populaire : le film est à la cool, et même s’il s’en branle de lui-même, il assume son second degré et charme le spectateur enfantin. Et ça marche, pour ceux qui ont grandis avec lui. Là je pense à Docteur_Jivago (follow her critiques), qui adore ce film car il l’a vu mûrir, et de ce point de vue-là, je comprends tout-à-fait qu’on trouve ce film surkiffant. Comme un pote un peu défoncé qui s’embarque dans des trips sans se prendre au sérieux, et qui parle directement au gamin farceur enfoui en nous au fil du temps.
Voilà pourquoi, même si « Space Jam » m’a pas embarqué à cause de son bâclage (notion Objective : vous pouvez apprécier ce film, il reste bâclé à un tas de niveaux), je comprends et respecte complètement qu’on puisse l’apprécier comme un ami d’enfance (notion Subjective : on peut ne pas apprécier ce film, il n'empêche que ça devait être complètement dément de le découvrir au ciné avec des potes). Et puis, le plus important, c’est que cela n’a pas engendré une mode, j’aurai pas vraiment supporté de voir Rafael Nadal jouer dans « The Prince of Tennis » avec un feat de Yannick Noah ou Laure Manaudou nager auprès d'Aquaman et ses copains avec les commentaires des Guignols de l'Info. Je compte pas Astérix aux Jeux Olympiques.