Les cinéphages sont souvent si prompts à critiquer les films qui leur demandent de réfléchir, qu'un film comme un drame de science-fiction d'Adam Sandler, Spaceman, les oblige à révéler leur indirectement leurs sottise. Sandler met astucieusement à jour ce qui était autrefois un incontournable du lycée, Métamorphose de Franz Kafka, une nouvelle de 1915 aussi classique que les favoris de la musique pop des années 80 de Sandler.
Dans cette production stupefiament Netflix, Sandler apporte une gravité adulte au rôle de l'astronaute tchèque Jakub Prochazka, qui en est au sixième mois de sa mission vers un amas de particules de poussière « au-delà de Jupiter ». La référence à 2001 : L’Odyssée de l’espace de Kubrick est indubitable, mais il s’agit ici d’une course spatiale différente, pas mythologique, plutôt ontologique.
Le vol de Jakub a battu une sonde spatiale coréenne, et non l’antagonisme américano-soviétique habituel, car Spaceman n’est pas un film de la guerre froide ; c'est plus personnel. Bien que tourné en 2021, le film a été créé après le 7 octobre 2023, à un moment d’hostilité ethnique et raciale auparavant impensable et désorientante. Cela témoigne des instincts ethniques singuliers de Sandler (un sujet qui mériterai d’être traité en large dans une discussion de son corpus). Sandler et Renk enquêtent sur l'insécurité du nouvel ordre mondial. Le détachement de Jakub de sa femme enceinte, Lenka (Carey Mulligan), qui est sur Terre, intensifie le sentiment kafkaïen de nostalgie et de méfiance politique. Les étudiants ont autrefois appris cette aliénation dans le cadre d’un programme d’études standard. Aujourd’hui, nos politiciens et les journalistes ne savent même pas ce que signifie « existentiel » et utilisent le terme à mauvais escient. Les critiques de cinéma diffusent également grandement leur analphabétisme culturel.
Les mauvaises critiques autour de Spaceman sont trompeuses, tout comme les bonnes critiques de Dune : Partie 2 et de Spider-Man : Across the Spider-Verse. La tendance est de détourner les spectateurs des films qui abordent la condition humaine, mais c’est ce qui donne à Spaceman un impact inattendu. À cause d’incidents techniques, Jakub, solitaire, perd contact avec Lenka, enceinte et désenchantée, et, dans sa détresse, imagine son vaisseau spatial envahi par une créature effrayante, Hanus, un arachnide à six yeux et à fourrure – une incarnation parfaitement laide du Gregor Samsa de Kafka devenu vermine et de la personnalité anxieuse de Jakub. Hanus court à l’intérieur du vaisseau spatial en appelant Jakub « l’humain maigre ».
Leurs dialogues (Hanus est doublé par Paul Dano) déclenchent quelque chose qui arrive rarement de nos jours : Jakub prend conscience de lui-même, ce qui provoque un examen de conscience pénitent. Hanus appelle cela « l’expiation », une clé ethnique de la mission éthique du film. La mauvaise communication de Jakub avec Lenka (supervisée par la commissaire spatiale tchèque Isabelle Rossellini et le technicien Kunal Nayyar, tous deux plus sympathiques qu’officieux) place Spaceman sur un plan plus élevé que la plupart des films de voyage spatial.
Confronté à une culture qui semble perdue dans le chaos, Jakub recherche un répit romantique ; il imagine la cour et la communication conjugales comme une version de Rusalka, l’opéra d’Antonin Dvorak sur le mythe d’une nymphe des eaux. Ses motifs sont cohérents avec les images diaphanes de Renck faisant correspondre la grossesse de Lenka au flux amniotique des amas d’étoiles entourant Jupiter. Dvorak rend palpable la tristesse adulte de Sandler, malgré la suffisance habituelle de Mulligan.
La mise en scène mets en évidence le détachement professionnel de nos mariages, familles, communautés et systèmes politiques brisés. Il est alarmant que les critiques puissent négliger un examen aussi nécessaire de notre crise culturelle et morale contemporaine.
Ces “critiques” veulent conserver leur idée d’un Sandler beauf et grand gamin – ou peut-être veulent-ils simplement perpétuer l’infantile et la banalité, de Dune à Spider-Man et au MCU. La conférence de Nabokov sur La Métamorphose donnait un avertissement essentiel : « Il y aura des esprits qui resteront vides et des épines qui resteront éteintes. » Il a également décrit comment « le portrait et la fable sont sans couture » chez Kafka. C’est trop pour les critiques habitués à la formule simpliste de la science-fiction et de la bande dessinée, surestimant l’inanité du First Man de Damian Chazelle et préférant Gravity à la profondeur et à la beauté de Mission to Mars de De Palma. C’est le meilleur film spatial depuis Ad Astra, et il n’y as nulle doute que le travail de Johan Renck sur les derniers clips de Bowie ont contribué à cette vision profondément humaine du “Starman”. On rappelle à Jakub que ses obligations terriennes sont ce qui fait de lui un humain, pas un insecte. Comme le Major Tom, dont le voyage sidéral est encré dans le terrestre, une quête initiatique.
Aux confins de l'espace, Kafka est transcendé. Spaceman exprime notre anxiété plutôt que de la laisser à la politique ou aux opposées philosophiques de Dumont.