Les esprits s’étant calmés après l’euphorie et les excès de la trilogie Matrix, il était grand temps de redonner sa chance à cet étrange objet qu’est Speed Racer.
Speed Racer est le prototype du film en roue libre que se permettent des artistes qui ont carte blanche. La pente est glissante, entre mégalomanie et enfermement dans une formule, et le moins qu’on puisse dire est que cette nouvelle livraison a pu déconcerter les attentes des fans.
La problématique du virtuel, déjà omniprésente dans Matrix, ressurgit ici dans toute sa splendeur : les Wachowski vont donner aux rêves d’enfant leur pleine mesure : le carnet sur lequel le jeune garçon griffonne au crayon une série d’images est l’impulsion donnée à une croissance exponentielle : vers le cartoon et la CGI, toujours plus vite.
Sur bien des points, Speed Racer est admirable dans la façon qu’il a d’assumer pleinement ses excès. C’est loin de faire toujours mouche, particulièrement dans son maelstrom de tonalités, du kungfu au comique japonisant le plus stupide, et des interminables discussions sur la valeur ultime de la cellule familiale face aux tentaculaires World Companies. Le film est clairement trop long, et les tentatives d’équilibrer les courses par des interludes sont le plus souvent maladroites. Car personne ne s’y trompe, c’est bien dans ces séquences à pleine vitesse que toute la substance s’épanche. Dans une variété de décors tous plus factices les uns que les autres, du désert (en ambiance très Mad Max) à une reproduction de la Mezquita de Cordoue, de la neige aux circuits urbains, le déroulé des images possible est exhaustif. On s’affranchit de toute cohérence comme de la gravité pour imaginer des cascades au ralenti, des accessoires délirants et des retournements dans tous les sens du terme, narratifs et géographiques.
L’indigestion guette évidemment à chaque virage, et force est de constater qu’à trop vouloir jouer la carte de la surenchère, on frôle l’épilepsie oculaire dans la course finale, qui devient presque aussi illisible que les pires scènes de Jupiter, Le destin de l’univers.
Mais ce qui fascine réellement est la contamination de ces morceaux de bravoure sur l’esthétique générale du film. La façon d’entremêler espace et temps, course et récit fait l’objet d’un travail d’orfèvre. La première course qui permet une exposition relativement complexe superpose ainsi deux temporalités différentes, voyant le jeune coureur élancé sur les traces de son frère défunt, à la poursuite d’une voiture fantomatique. De la même manière, les commentateurs des compétitions sont sans cesse en mouvement, défilant à l’écran dans un ballet théâtral délibérément factice et souvent très séduisant.
Objet rutilant, décomplexé et vertigineux, ode à la vitesse et à la cinétique, Speed Racer est certes un monstre, mais à la singularité salvatrice, bien plus fascinante que les pompeux Cloud Atlas ou formatés Jupiter.