C’est bien sûr en songeant aux « Life, origine inconnue », « The Thing », ou « Premier Contact », que se déroule « Sputnik ». Clinquante production russe se déroulant dans la Sibérie de 1983, ce film, digne héritier des séries B soviétiques surfant sur les succès américains, prend à cœur son sujet en l'abordant d'une approche vigoureusement frontale : une psychologue se rendant dans une base secrète où a été recueillie un cosmonaute russe possédé par un parasite extra-terrestre, mi- limace mi- crevette. Et évidemment, tout cela serait moins attrayant si le parasite en question n’était pas un mangeur d’homme explosant les crânes de ses victimes avec une facilité déconcertante ! Froideur et secrets donc, dans ce film prenant comme personnage principal une femme prisonnière d’un milieu rigidement masculin. D'ailleurs, c'est évidemment ce choix que l'on dénote en premier : celui d'adopter le point de vue d'une héroïne de l'ombre, ni victime ni décideuse, mais analyste dans le cadre de cette confrontation aux frissons. « Les humains sont champions en matière de peur », martèle le film, dénonçant sans détour la propagande télévisuelle et l’opacité de la bureaucratie soviétique, alimentant de paire un discours faisant écho à cette Russie mystérieuse, tandis que le monstre pourrait à lui tout seul être vue comme une métaphore de la propagande, lavant le cerveau, possédant les corps et explosant littéralement par la tête ceux qui sentent la peur.
Si l'opération est rondement menée à bien par une réalisation fluide, une photographie propre et une Oksana Akinshina épatante, le tout tend malgré tout à se dérouler selon un ordre narratif balisé dans lequel s'enchainent les séquences obligatoires du genre. Et si cette créature désopilante parvient à nous tenir en haleine, ajoutant à cela des bases scénaristiques solides, le tout perd rapidement sa substance jubilatoire pour s'écouler selon un protocole farouchement académique. Pour grossir le trait, ça démarre en trombe puis ça devient un peu comme un épisode random de « X-Files », affichant une bien belle vitrine du savoir faire russe tout en se montrant comme un film d'extra-terrestre rudement poli, même dans son utilisation prévisible d'effets gores franchement convenus et abusifs. Aussi, l'autre paradoxe se situe dans les personnages, tous bien écrits, raisonnés et disposant de traits de personnalités bien affirmées, mais aucun d'entre eux ne dépasse son statut, la place qui lui est attribuée dans le récit. Alors certes, nous suivons le point de vue d'une psychologue dans une base militaire d'URSS, mais c'est peut-être, in fine, l'élément le plus décevant de « Sputnik » : cette dépersonnalisation dans l'écriture de personnages initialement bien construits, et qui, le long des rebondissements, deviennent des faire-valoir, entrainant avec eux le film dans un engrenage de clenches éculées, à l'image du méchant qui devient très méchant, du traitement sans originalité porté à la créature, ou encore de cette relativisation de l'héroïsme, très tentante au départ, mais qui ne débouche finalement sur rien de concluant ... Bref, sur des bases solides, « Sputnik » manque cruellement de conflits, d'organes, d'ampleur, finissant par s'abreuver dans un certain sentimentalisme alors qu'il démarrait pourtant très efficacement via un climat anxiogène et pesant. Et la science-fiction horrifique, cocktail attrayant mais décidément souvent revu à la baisse, n'aura malheureusement pas longtemps tenu dans son hôte du bloc est...

JoggingCapybara
5
Écrit par

Créée

le 19 sept. 2020

Critique lue 1.7K fois

3 j'aime

JoggingCapybara

Écrit par

Critique lue 1.7K fois

3

D'autres avis sur Sputnik, espèce inconnue

Sputnik, espèce inconnue
Cinématogrill
7

Alien, le huitième camarade

On est en droit de se demander ce qu’il reste à raconter comme histoire de cosmonaute parasité par une vilaine bébête extraterrestre 40 ans après le mètre-étalon du genre de papa Scott, surtout quand...

le 7 sept. 2020

10 j'aime

Sputnik, espèce inconnue
MikaGio
9

Remarquable film de science fiction militaire. L'Alien symbiotique russe.

Les Russes ont vraiment frappé fort avec cet excellent "Sputnik". D'ailleurs pas compris le titre, car on évoque à aucun moment Sputnik. La mission spatiale du début probablement? L'histoire est...

le 30 mai 2020

8 j'aime

3

Sputnik, espèce inconnue
Cinephile-doux
7

A perdre Alien

Dans l'espace, personne ne vous entend ..., oui, oui, on sait, et à défaut de revoir l'étalon incontesté en la matière, le Sputnik réalisé par le jeune Egor Abramenko (33 ans) constitue une variante...

le 22 déc. 2020

7 j'aime

1

Du même critique

Il n'y aura plus de nuit
JoggingCapybara
8

Soleil noir

Autrefois particulièrement productif et jouissant d’une considérable aura auprès du public, le genre du film de guerre, hormis quelques rares éclats, donne désormais l’impression de s’être...

le 29 juin 2021

9 j'aime

Jeunesse (Le Printemps)
JoggingCapybara
8

S'en sortir sans sortir

Première partie d’une trilogie, « Jeunesse (Le Printemps) », fresque documentaire tournée entre 2014 et 2019 dans les cités dédiées à la confection textile de Zhili (à 150 kilomètres de Shanghai, au...

le 3 janv. 2024

8 j'aime

8

Séjour dans les monts Fuchun
JoggingCapybara
8

Nature des êtres

Il y a comme un paradoxe dans « Séjour dans les Monts Fuchun ». Les personnages, dans l’ensemble de leurs dialogues, parlent d’argent, d’une manière si exacerbée que cela en frôlerait presque...

le 10 janv. 2020

7 j'aime