Avant de continuer sur ma lancée des critiques de la filmographie de Nikita Mikhalkov et notamment de son chef-d’œuvre de l'horreur, Soleil Trompeur 2, je me suis penché sur la récente renaissance, en Russie et dans l'ex-URSS, de la mode des films consacrés à la Grande Guerre Patriotique, c'est-à-dire la Seconde Guerre Mondiale sur le front de l'Est.
Le mythe de la nation unie face à l'envahisseur et du sacrifice héroïque de près de 20 millions de ses fils et filles a toujours été essentiel à la solidité des divers régimes en place au Kremlin, que ce soit Staline lui-même dans les années 40-50, Brejnev pendant les trois décennies suivantes ou à présent Poutine, depuis le début du siècle. Seules périodes de relative disette : l'ère khrouchtchevienne et les années 90 d'Eltsine, marquées par des tentatives de déstalinisation plus ou moins officielles (cf ma critique de Soleil Trompeur). Il s'agit donc moins d'une "mode" que d’un "genre" en soi, avec ses propres fluctuations inhérentes aux mouvements sociaux et politiques, un peu comme le Western aux USA.
Il y a donc un peu de tout dans la filmographie consacrée à la période 1941-1945 : quelques films incroyablement sensibles et intimistes comme L'Enfance d'Ivan de Tarkovski, La Ballade du Soldat de Tchoukraï, Quand passent les Cigognes de Kalatozov ou encore 20 Jours sans Guerre de Guerman, mais surtout des gros monstres de propagande bien ronflante, depuis l'hallucinant La Chute de Berlin de Tchiaoureli sorti dès 1949 jusqu'au T-34 de Sidorov sorti 70 ans plus tard et qui a cartonné au box-office russe. Ce Stalingrad de 2013, réalisé par Fiodor Bondartchouk, appartient clairement à la seconde catégorie, tout en présentant quelques caractéristiques bien à lui.
Son metteur en scènes, tout d'abord. Si vous vous intéressez aux grandes heures du cinéma soviétique – mais pas seulement –, le nom de Bondartchouk vous est connu. Fiodor est en effet Fiodor Sergueïevitch, fils du célèbre réalisateur de Guerre et Paix et Waterloo, entre autres fresques épiques. On serait donc en droit de s'attendre qu'il ait été à bonne école pour ce qui est de tourner un film historique à gros budget, n'est-ce pas ?
La seconde caractéristique, c'est que le film se veut un écho du présent. Ah tiens, dit comme ça c'est intéressant, un parallèle serait-il établi entre le sacrifice de tant de personnes pour défendre une seule ville et le manque criant d'humanité avec lequel le pouvoir a traité les tragédies de Beslan et du Koursk, par exemple ? Que nenni, Bondartchouk préférant faire référence à… Fukushima. Non, non, s'il vous plait, ne me demandez pas pourquoi, j'en ai assez de ressasser cette question, maintenant c'est votre tour – mais l'un dans l'autre, je ne suis pas sûr que ça en vaille la peine.
Enfin, la mise en scène elle-même est quelque chose que je n'aurais cru voir dans un film sur la Seconde Guerre Mondiale – surtout originaire d’un pays y ayant payé un tel prix. Tout simplement, comme mon titre l'indique, il faut croire que Bondartchouk junior s'est dit qu'adapter ce conflit à la sauce Michael Bay serait une bonne idée. Était-il en hibernation lorsque les critiques hachaient menu, et à juste titre, le ménage-à-trois Affleck-Beckinsale-Harnett sur fond de marins américains impitoyablement mitraillés par les avions japonais ?
Il faut croire, car Stalingrad c'est deux heures non-stop d'action au ralenti, d'énormes explosions, de photographie criarde, de bande-son cacophonique, d'une histoire d'amour à deux balles et de dialogues bidons, le tout en 3D s'il vous plaît, la palme de l'horreur revenant à cette scène d'action d'ouverture durant laquelle des soldats soviétiques en flammes se jettent sur les nids de mitrailleuse allemands et parviennent tout de même à l'emporter. C'est rigolo, un de mes plus gros problèmes avec le Stalingrad d'Annaud douze ans auparavant, c'est qu'on ne voit pas comment l'Armée Rouge finit par l'emporter et que sa victoire tombe comme un cheveu sur la soupe… mais si c'est pour la montrer de cette façon, t'as bien fait de t'abstenir Jean-Jacques !
Le pire c'est que le film n'a même pas la décence d'assumer à fond son indécence – après un début pareil, autant virer sur des Autobots-T-34 contre des Panzers-Decepticons, non ? Au lieu de cela, Bondartchouk se prend totalement au sérieux, convaincu qu'il est de marcher dans les pas de son illustre géniteur. Le résultat, c'est que quand il ne nous gratifie pas de ce parallèle fumeux (jeux de mots involontaire, je vous assure) avec Fukushima, il nous badigeonne de romance à l'eau-de-rose lorsqu'elle n'est pas carrément malsaine, comme c'est le cas de l'officier allemand et de sa maitresse.
Que dire du casting ? Lorsque Thomas Kretschmann est le meilleur acteur du film, c'est là qu'on sait qu'il y a un GROS problème. Encore un nom qui devrait faire tiquer plusieurs d'entre vous, puisque vingt ans plus tôt le Saxon jouait le rôle principal d'un autre Stalingrad, celui de Vilsmaier – premier d'une seeeeeeeeeehr longue série de feldgrau pour celui qui, depuis Le Pianiste jusqu'à Valkyrie en passant par La Chute et Eichmann, est devenue une blague ringarde Outre-Rhin. Mais au moins son expérience en la matière permet-elle à Kretschmann de rester crédible dans un rôle plus exigeant que les autres, ce qui est plus que ce que je peux dire du bloc de granit inexpressif Piotr Fiodorov et de la totalité du casting russe. Cette bataille-là, l'Allemagne l'emporte haut-la-main, mais il n'y a pas de quoi pavoiser.
Franchement je me demande comment j'ai pu faire pour écrire deux pages sur cette daube, tant Stalingrad est un monument non aux victimes de la célèbre bataille mais à la vacuité, à l'imbécilité et au mercantilisme. À cet égard il symbolise bien le cinéma russe actuel. Il n'est pourtant pas si loin, le temps où Bondartchouk lui-même comptait au générique des Nôtres, petit film d'auteur consacré à la collaboration et dénué de tout manichéisme ! Mais que voulez-vous, la subtilité ça ne fait pas vendre… déguiser la corruption et le néant intellectuel sous des atours patriotiques, voilà une stratégie gagnante ! Après tout, n'arrive-t-elle pas à maintenir le même homme au pouvoir depuis vingt ans ?
L'exemple vient d'en haut. Le seul Stalingrad, le seul Fukushima qu'il reste en Russie aujourd'hui, il est dans le crâne de l'occupant du Kremlin. À quand la reconstruction ?