La force pour héritage, le pouvoir pour malédiction

Faisons simple : j'aime ce qu'a accompli cette trilogie.
Elle m'aura arraché de l'émotion et de la curiosité intellectuelle à l'égard d'œuvres que j'avais jusque-là trop méprisées. Star Wars n'a jamais été une grande passion me concernant : pendant longtemps j'ai regardé cette saga d'un œil distant, avec un mélange de curiosité polie et de dédain.



  • Il y a eu la trilogie originale, dont je constatais le pouvoir d'attraction et les thèmes dramatiques majestueux autour de la parenté, le destin, la liberté ou l'espoir, mais qui pour l'essentiel à vrai dire m'irritait surtout par ses gimmicks humoristiques lourdauds, ses batailles bruyantes, ses fusillades au blaster désuètes, ses Stormtroopers en plastique et son manichéisme assez franchement revendiqué.

  • Il y a eu la prélogie, dont les tentatives de propos politique m'avaient paru nettement plus intéressantes, dans sa volonté de raconter la décadence d'une République vermoulue par la corruption, un Ordre Jedi perclus de certitudes, de conservatisme, et l'inéluctable basculement de tout cela dans l'échec, la guerre et la tyrannie... Mais rien ne suffisait à racheter à mes yeux ce que j'estimais être l'absolu naufrage de George Lucas en tant que dialoguiste, metteur en scène et directeur d'acteurs.

  • Désormais donc il y aura eu cette postlogie, qui (à mes yeux du moins) compte l'épisode le plus plastiquement abouti, le plus émouvant et le plus philosophiquement approfondi de la saga – je parle des Derniers Jedi – et qui, en tant qu'ensemble, sera parvenue à me faire percevoir rétroactivement l'ampleur de tout le récit qui l'avait précédée.


La prélogie aura donc eu pour cœur thématique la fatalité ; la trilogie, l'espoir ; la postlogie, l'héritage. Non content que cela constitue déjà en soi une progression dialectique globale cohérente, il y a encore dans chacune de ces trilogies une dialectique thématique interne que, désormais achevée, je crois pouvoir synthétiser peu ou prou de la sorte :


PRÉLOGIE : LA FATALITÉ
♦ Épisode I — Promesse
♦ Épisode II — Faille
♦ Épisode III — Chute


TRILOGIE : L'ESPOIR
♦ Épisode IV — Promesse
♦ Épisode V — Doute
♦ Épisode VI — Victoire


POSTLOGIE : L'HÉRITAGE
♦ Épisode VII — Nostalgie
♦ Épisode VIII — Révolte
♦ Épisode IX — Réconciliation


Sans doute l'affirmation suivante m'illustrera-t-elle comme un hurluberlu sinon carrément comme un provocateur aux yeux de quelques uns, mais pour être tout à fait honnête, ce qui me frappe à la sortie de cette Ascension de Skywalker, c'est la cohérence du dénouement qu'elle offre à sa propre trilogie, ainsi que la note énamourée par laquelle son ultime scène conclut l'ensemble de la saga.


Il y a bien des choses qui me fâchent un peu :



  • La musique qui me paraît l'une des plus oubliables tout épisode confondu, incapable de produire l'apothéose émotionnelle que cette fin aurait méritée.

  • Le style d'Abrams à la réalisation, toujours touchant par l'admiration sans borne qu'il semble vouer au matériau qu'il a entre les doigts et impressionnant par le soin qu'il met à donner de l'envergure, de la mobilité et de la force à tous ses plans (je saluerai bien volontiers au passage les jeux de mise en scène sur les transitions de décors et d'objets lorsque Rey et Kylo Ren sont connectés à distance par la Force, qui sont d'une fluidité et d'une créativité remarquables) mais qui n'atteint jamais les fulgurances esthétiques dont Rian Johnson avait su émailler l'épisode VIII.

  • La cadence endiablée de l'action et de l'intrigue, qui ne laisse jamais de répit et qui de ce point de vue tue assurément toute possibilité d'ennui, mais qui en contrepartie peine à laisser vivre certaines scènes clés dont l'émotion aurait demandé à s'inscrire davantage dans la durée – le duel sur l'épave au milieu de la mer déchaînée est à cet égard une des seules séquences qui parvient à laisser un peu respirer son émotion.

  • La sempiternelle et irritante légèreté avec laquelle cette saga met en scène ses batailles, éludant par tout cet humour la gravité de la guerre (attribuant une fois de plus à Finn la fonction de personnage chargé de crier des wouh ! victorieux chaque fois qu'un truc explose).

  • Les Chevaliers de Ren, dont personne ne semble avoir eu la moindre inspiration pour faire quoi que ce soit, et que le scénario s'est apparemment senti tenu de rentrer dans le film au chausse-pied (quitte à les expédier après ça à la machette) parce que l'épisode VII avait évoqué leur existence.

  • La présence de Leia à l'écran, qu'on sent assez nettement estropiée par le manque de prises de vue, et donc la pauvreté de ses lignes de dialogues... mais une fois pris en compte le décès de Carrie Fisher avant le tournage, qui leur en tiendra sérieusement rigueur ?


Ceci étant listé, j'aime à peu près tout le reste.
Le film a du cœur et de l'entrain. Il a ses grands moments de bravoure. Il sait relancer des enjeux forts et tangibles dès ses toutes premières minutes grâce au retour de Palpatine dans l'intrigue, puis les maintenir tout du long, sans perdre de vue l'enjeu central mis en place par l'épisode VIII : que la maîtrise de la Force ne se mue pas pour Rey en ivresse du pouvoir. Le film retourne avec ingéniosité des retournements déjà opérés par le volet précédent, enrichissant encore par une dialectique constante de négations successives les trajectoires de son récit et de ses personnages.


Il parvient à offrir à Rey et Kylo Ren des approfondissements psychologiques surprenants, et fait aboutir leur arc narratif commun de façon remarquable. Le thème filé à travers la trilogie de leur complémentarité dans la Force (et à travers eux le thème de la complémentarité primordiale du Côté Lumineux et du Côté Obscur) culmine : elle, l'enfant abandonnée, optimiste, adorable et généreuse au grand jour, mais secrètement rongée par le chagrin et la rancœur de son abandon (soit la lumière tentée par l'obscurité) ; lui, l'enfant gâté, ténébreux, colérique, dont l'hubris – en tant qu'avatar de la révolte adolescente relue sous la forme d'une passion conquérante meurtrière – n'est que le signe d'un désir secret d'amour abîmé par un trauma (soit l'obscurité tentée par la lumière).


Le fait est que je n'avais aucune idée de comment ils allaient clore cette construction en miroir des deux personnages. L'éventualité qu'un événement dramatique précipite le passage de Rey du Côté Obscur au même moment où Kylo Ren passerait du Côté Lumineux me plaisait pas mal dans l'idée, parce que cela aurait consommé leur itinéraire en chemins croisés. Mais dans le même temps je me disais que ce serait un peu morne : ça ne ferait que dérouler mécaniquement la dynamique installée par les précédents épisodes.


L'hypothèse d'une union sous la forme d'un «ils vécurent heureux et eurent beaucoup d'enfants», en revanche, était si tarte à mes yeux que j'appréhendais en me mordant la langue qu'ils optent pour une direction pareille. Finalement, l'option retenue est bel et bien celle d'une union, mais d'une union autrement plus intéressante et douce-amère : Kylo Ren retourne s'évanouir dans le cours cosmique de la Force après avoir transféré son essence vitale à Rey, qui porte désormais en elle seule la Diade qu'ils avaient l'un et l'autre constituée dans la Force... ce qui somme toute est une union d'un genre bien plus indissoluble, intime et mélancolique qu'aucun mariage ne l'aurait été.


Puis, comme je le mentionnais, il y a la cohérence thématique de l'héritage qui permet à ce dénouement de porter à sa trilogie (et par-delà, aux trois trilogies) une réponse grosse de tout le récit traversé jusqu'à elle.


Il faut peut-être prendre un peu de champ pour examiner ce que cette trilogie de trilogies achève par ce neuvième volet que son récit avait entrepris dès le premier. Le commencement nous promettait en Anakin l'enfant élu, pur être engendré par la Force, à travers qui celle-ci devait retrouver son équilibre. L'intervention corruptrice de Darth Sidious cependant précipitait la chute d'Anakin, faisant de lui celui qui permettrait un triomphe unilatéral du Côté Obscur sur le Côté Lumineux. En réponse à quoi une résurgence de la Force dans le Côté Lumineux finissait par lever en Luke un nouveau champion qui, à son tour, permettrait un triomphe unilatéral, cette fois du Côté Lumineux sur le Côté Obscur... et de ce fait une nouvelle résurgence de la Force dans le Côté Obscur, qui levait en Kylo Ren un champion, encore... Schéma pendulaire qui aurait ainsi pu se perpétuer indéfiniment, fût-ce pour l'intervention d'une héroïne capable de ne pas avoir pour objectif la victoire unilatérale, et d'assumer en elle l'équilibre des deux versants de la Force.


Trois Skywalker, donc, qui incarnent tour à tour l'oscillation pendulaire du Côté Obscur au Côté Lumineux, et deux Palpatine : le premier, corrupteur, impulsant le déséquilibre qui nourrira trois générations durant l'oscillation guerrière, et la seconde, réconciliatrice, qui y mettra fin. L'équilibre initialement promis est enfin restauré, et l'est au terme d'une dialectique rigoureusement symétrique, lorsque la petite-fille de celui par qui avait été semée la haine accueille en elle l'essence vitale que lui sacrifie le petit-fils de celui à travers qui avait été prophétisée la réconciliation.


Bref, qu'on ne m'en veuille pas : la cohésion, la beauté de ce récit !


Dans quelle mesure l'effet de sens produit par la postlogie maintenant qu'elle est achevée était-il intentionnel, programmé ? Dans quelle mesure est-il le fruit d'un concours imprévu de choix créatifs amassés chemin faisant ? À vrai dire je n'en sais rien, et n'ai pas grande envie de me prêter au jeu des supputations mal informées. Elles me paraissent de peu d'intérêt.


En revanche, qu'il y ait là une trilogie qui ait rebattu les cartes du manichéisme propre à la saga, qui ait réinterrogé la valeur de ses figures charismatiques, en ait écorné quelques unes sans pourtant ne jamais tarir de tendresse pour cela même qu'elle écornait, cela est de beaucoup d'intérêt. Qu'il y ait là trois films qui tous les trois parlent d'héritage, le premier pour dire qu'hériter c'est lever les yeux vers ce qu'on admire, le deuxième pour dire qu'hériter c'est dépasser ce qu'on a admiré, le troisième pour dire qu'hériter c'est conserver son amour à ce qu'on a dépassé : cela, oui, est de beaucoup d'intérêt.



L'épisode VII



Moment de la nostalgie, disais-je – a indéniablement été l'épisode le plus enjoué, le plus aventureux, le plus émerveillé des trois. Ne serait-ce, pour commencer, que combien on y sentait la caméra d'Abrams extatique d'embrasser cet univers tout fait pour lui de reliques sacrées, d'icônes et de décors érigés au rang de temples mémoriels.


On y découvrait nos deux protagonistes marqués par leur jeunesse et leur aspiration à s'élever un jour au rang de leurs idoles : Rey qui, ayant grandi dans le sentiment de son anonymat et de son insignifiance, admirait les légendes Jedi et parmi elles celle du lointain et mystérieux Luke Skywalker ; Kylo Ren qui, ayant grandi dans le sentiment de son importance, pâtissait de se sentir écrasé dans l'ombre de son illustre aïeul Vador et dans le sillage de son mentor Snoke.


Et quoiqu'il ait pu être reproché à ce volet de n'avoir existé que pour et par le désir de ses spectateurs d'être à nouveau bercés dans leurs souvenirs d'enfance, n'est-ce pas la condition nécessaire de tout héritage et son moment inaugural que de commencer par lever des yeux admiratifs vers ce dont on désire être héritier ?



L'épisode VIII



Moment de la révolte, donc – se soldait par une vaste déception à l'égard des figures tutélaires précédemment admirées, d'où découlait la nécessité pour les protagonistes de se réinventer contre leurs mentors. Ainsi, avec le panache de garnement qui caractérisa Rian Johnson, Kylo Ren assassinait sommairement Snoke après avoir réduit en pièces le masque porté en l'honneur de Vador ; l'ascension de Rey se réalisait contre la volonté d'un Luke échoué en pleine résignation, et ceci pendant que Finn découvrait la République censément garante de la liberté dans la répugnante corruption de ses arrière-salles ploutocratiques.


Dans le même temps, l'épisode VIII était aussi celui d'une virulente remise en cause par le mentor lui-même de l'idéal qu'il avait incarné aux yeux de sa disciple : aussi Luke s'en prenait-il sans merci à la figure du chevalier Jedi pourfendant ses ennemis pour mieux leur reprendre le pouvoir, soucieux de relire d'un œil critique l'héroïsme manichéen dont il était lui-même devenu l'image – tout de même à son corps défendant, il faut dire, car le Luke Skywalker surgissant avec son sabre vert pour abattre tout le Premier Ordre que semblait espérer la Résistance n'avait plus grand-chose à voir avec le Luke Skywalker du Retour du Jedi qui œuvrait patiemment à ramener son père du Côté Lumineux pour pouvoir éviter l'affrontement.


Enseignant à Rey que le cours cosmique de la Force n'était pas affaire de victoire du Côté Lumineux sur le Côté Obscur mais d'équilibre entre leurs composantes respectives – au sens où la corruption est le pendant naturel de la génération, la mort celui de la vie et la destruction celui de la création – Luke rejetait par la même occasion la figure du grand sauveur Jedi comme n'étant qu'un avatar inversé mais symétriquement violent du grand destructeur Sith, et pointait que la guerre n'avait pas son origine dans le Côté Obscur (bond philosophique immense au sein de la saga !) mais dans la vanité de celui désireux d'affirmer son pouvoir et de faire triompher unilatéralement l'un des deux Côtés sur l'autre. Cette vanité, précisément, avait causé son échec en tant que maître à l'égard de Ben Solo et, de là, précipité la naissance de Kylo Ren ; il en portait la culpabilité comme un stigmate. Aussi s'était-il résolu à adopter en conséquence l'attitude contemplative de la non-violence et du retrait.


À ce moment, songeait Luke, toute intervention de sa part ne ferait qu'empirer la situation. Résistance et Premier Ordre lui apparaissaient comme manifestations respectives des deux versants de la Force, et le mieux, se disait-il, était de laisser faire : la Force équilibrerait d'elle-même son cours. Si en revanche il cherchait à accroître le Côté Lumineux en poussant à travers Rey une résurgence Jedi, le Côté Obscur se renforcerait en réponse par une résurgence Sith, et en fin de compte son intervention n'aurait fait qu'exacerber le conflit.


Toutefois l'inaction de Luke, si fondée fût-elle dans ses motivations, apparaissait légitimement à Rey comme la condamnant à l'impuissance face à la décimation de ceux qu'elle aimait, et appelait donc à être à son tour dépassée. Ainsi naissait pour Rey dès l'épisode VIII ce qui allait devenir pour elle l'enjeu central de l'épisode IX : renoncer au pouvoir sans renoncer à la force.


Luke finissait d'ailleurs par dépasser lui-même sa posture de retrait.
Après que Yoda lui fut apparu pour l'encourager à surmonter la honte de son échec, il finissait par réaliser qu'il y avait encore eu de sa part quelque lâcheté à croire que le conflit interne de la Force cesserait parce que lui aurait refusé de s'y mêler, et quelque orgueil à se croire chargé d'anéantir unilatéralement l'héritage Jedi en privant ainsi les générations à venir de la transmission à laquelle lui-même avait eu droit, comme s'il refusait que le monde continuât à suivre son cours après lui. Il comprenait enfin, à la vue de la bienfaisance et de l'espoir inaltérés de Rey, que cela même que lui ne pouvait plus incarner méritait encore d'avoir sa chance à travers elle. Aussi finissait-il, par l'expédient narratif génial d'une projection de la Force maniée depuis une folle distance, à marier dans un même dénouement et un ultime geste de transmission et son refus de prendre part au combat, plaçant la conclusion de sa vie à l'exacte et bouleversante croisée du retrait bouddhique hors du monde et du sacrifice christique par amour pour le monde.



L'épisode IX



Moment de la réconciliation, enfin – frappe en ceci qu'il reproduit à l'égard de l'épisode VIII ce que celui-ci avait déjà produit à l'égard de l'épisode VII : une série de négations, toutes enrichies d'être passées par ce qu'elles viennent nier. Ayant achevé de confronter leurs mentors respectifs et d'opérer par là leur rupture avec ce qu'ils refusaient de devenir, les protagonistes ont à entrer à nouveau en eux-mêmes pour ramasser les morceaux et modeler qui ils seront en fin de compte.


L'image est littérale pour Kylo Ren qui, n'ayant désormais plus que faire de Snoke, fait reforger les morceaux du masque qu'il avait éclaté par réaction à une raillerie de son depuis pourfendu mentor. L'esthétique du masque réparé, arborant d'un rouge vif les fêlures des interstices reforgés à la façon des céramiques kintsugi japonaises, dit l'essence de ce ressaisissement : Kylo Ren veut porter sur lui l'identité qu'il a un temps rejetée, mais porter aussi les marques de la rage avec laquelle il l'avait rejetée et, ce faisant, revendiquer comme un motif de fierté sa puissance à se récupérer lui-même contre sa propre colère.


Rey, de même, a fort à récupérer en elle-même : une colère sourde monte en elle dont elle ne saisit pas bien l'origine et qu'elle craint de ne pouvoir contrôler. Le risque que pointait Luke lors de l'épisode précédent – qu'elle s'enivre de sa puissance et s'y perde – devient pour elle de plus en plus tangible.


De tangible, le risque devient une réalité tragique lorsque, après avoir manqué de tuer Chewbacca dans une première impulsion de colère incontrôlée, Rey finit dans une seconde par tuer Leia à travers un coup létal porté à son fils. La culpabilité et la peur qu'elle en retire deviennent si fortes qu'à son tour, Rey songe renoncer à manier la Force et partir s'oublier en ermitage sur Ahch-To, où elle sera découragée de suivre ainsi les traces de Luke... par Luke lui-même !


Venu le moment de la plus grande détresse, la figure du mentor – désormais plus humble, étant elle-même transformée d'avoir un temps été mise en question et rejetée – est admise à nouveau et chérie : non plus comme modèle mais comme épaule, soutien et confident.


En cela, jusque dans ses ruptures – ou pour mieux dire, précisément grâce à ses ruptures – l'épisode IX marque une loyauté admirable aux enjeux disposés par l'épisode VIII. Rey avant Luke était une jeune femme habitée par l'enthousiasme de bien agir, désireuse d'apprendre à manier la Force pour défaire ses ennemis et placer le pouvoir entre de bonnes mains. Rey après Luke, avertie que le pouvoir n'est pur entre aucune main (pas même les mieux intentionnées) doit trouver par quelle voie il lui sera possible de manier la Force pacifiquement et sans désirer le pouvoir. Or quel aboutissement plus solide donner à un enjeu de ce genre que de confronter Rey à celui qui fut à travers toute la saga l'incarnation par excellence du pouvoir ? Palpatine.


Le face-à-face entre Rey et l'abîme, pendant un instant, est total : Palpatine, tentateur comme le serpent, lui propose de recevoir son pouvoir et de monter sur le trône en tant qu'impératrice si elle consent au geste de vengeance qu'il lui sait le désir violent de commettre. Un instant, donc, va lui être tendue la proposition d'accéder au pouvoir absolu et d'obtenir la vengeance qu'elle a secrètement désiré... et de façon surhumaine il lui faut dire deux fois non.


Pour exacerber encore son désir de violence, Rey apprend qu'elle est elle-même une Palpatine. Que si ses parents vivaient dans l'anonymat et s'étaient séparés d'elle, c'était de façon délibérée afin de la protéger de son grand-père. Que celui-ci les a fait tuer. À nouveau le retournement épouse la progression thématique de la postlogie : lors de l'épisode VIII, apprendre que ses parents n'étaient personne, qu'ils l'avaient vulgairement et piteusement abandonnée, était la plus intéressante des réponses à offrir à Rey, car son problème central était alors de ne pas connaître sa place dans le monde, et que la révolte que lui inspirait cet abandon était le moteur le plus puissant pour la pousser à frayer son chemin. Lors de cet épisode au contraire, lui infliger une parenté affreuse était la plus intéressante des réponses, car son problème central était devenu de savoir quel usage elle ferait de la Force, et qu'une réponse de ce genre était la plus à même de semer à la fois en elle un immense regain d'amour (vis-à-vis de ses parents), la tentation d'un comparable regain de haine (vis-à-vis de Palpatine) et le sentiment d'être née destinée à la violence.


Au point paroxystique du film, où l'enjeu est de savoir si Rey s'abandonnera à la haine ou si elle renoncera à abattre Palpatine, celui-ci sera finalement détruit par sa propre force, et tout l'héritage cumulé de siècles de générations Jedi revivant à travers Rey servira non à frapper, mais à parer.


Il y aurait encore à dire, sur le chemin de Kylo Ren qui parvient à aboutir à la fois à travers Leia et à travers Rey ; sur les pouvoirs de guérison désormais offerts par la Force ; sur un certain sabre d'or et deux autres sabres enterrés dans le sable de Tatooine ; sur un patronyme hérité dans un ultime geste de gratitude... mais j'imagine que je ne vais pas tout dire. Mieux vaut voir et se laisser émouvoir.


Une chose au moins est sûre. Au moment de conclure les quarante années de récit auxquelles il était adossé, ce film aura choisi de poser les yeux en arrière et d'avoir pour fin mot : amour.

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le 19 déc. 2019

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trineor

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