Star Wars VIII est un sacré casse-tête à résumer. Non pas que sa trame narrative fasse montre d’une construction alambiquée, mais la controverse l’entourant fait fort justement écho à l’expérience qu’il prodigue, alors saluée par les uns, conspuée par les autres ; quelques fans, aussi zélés que lésés (selon eux), auront notamment fomenté une pétition visant à l’exclure de la trame officielle. Aussi, ce papier contiendra moult spoils, que cela soit dit.
Petit retour en arrière : en marge d’un Rogue One sympathique, ce huitième opus succédait à un The Force Awakens trop sage. Un poil englué dans l’hommage, preuve en est d’un schéma ne rappelant que trop bien les premières apparitions de Luke, Leia and co., le film de J.J. Abrams était malgré tout parvenu à entrouvrir des pistes intrigantes quant au futur de l’emblématique saga : de fil en aiguille, outre la patience à vif de ses innombrables aficionados, The Last Jedi ne pouvait donc qu’être attendu de pied ferme, qu’il s’agisse des optimistes ou des (encore eux) amateurs auparavant déçus.
Bref, la prudence était pour ma part de mise : toutefois, la présence de Rian Johnson aux manettes se posait comme un facteur d’espoir, le papa du très réussi Looper comme seul maître à bord (une situation inédite depuis l’hégémonie Lucas) laissant penser que SWVIII s’extirperait d’un carcan narratif redondant. Toutefois, on peut avancer que le long-métrage possède avant tout des arguments en faveur d’un consensus « formel » : loin d’être un manche, Johnson et son équipe n’auront pas manqué le coche en dotant The Last Jedi d’une identité visuelle (quelque peu) novatrice.
Séquence à bien des égards la plus marquante, le fameux saut en hyperespace n’en illustre que trop bien sa démarche graphique : accouchant en ce sens d’un plan somptueux, empreint d’une magnificence implacable, son ampleur destructrice n’ayant d’égal que son silence terrible à souhait laisse pour ainsi dire pantois. Quelques jeux de couleurs flattent également la rétine, tel le rouge lors du tumultueux passage de la « Snoke’s room », ou de par son contraste très tranché avec le blanc immaculé de la planète Crait. Cerise sur le gâteau, la réunion de Rey et Kylo sous la coupelle du Leader Suprême se fend d’une bastonnade bien sentie, tandis que la BO nous laissera un souvenir plus vivace que celle du septième volet.
Mais si ce bel enrobage se tient amplement sur la longueur, le semblant de polémique soulevé par Star Wars VIII nous renvoie incessamment au fond de l’affaire : un scénario multipliant les risques. S’apparentant (à raison) à l’épisode de la rupture, l’amoncellement de contre-pieds à l’égard des fondements de la saga, mais aussi quant aux pistes qu’égrainait The Force Awakens, démontre d’une évidente volonté de rompre avec le passé ; le problème étant que cet élan d’innovation se veut de bout en bout sur la corde raide, ce numéro d’équilibriste osé comme pas deux alternant le bon et le mauvais.
Sur ce dernier point, autant briser la glace et aborder le point noir le plus patent à l’œuvre, duquel nous ne saurions d’ailleurs l’affubler d’une étiquette « prise de risque » : Finn. Déjà peu emballé par son faible apport à ses débuts, le personnage de John Boyega ne parvient aucunement à redorer son blason, sa pseudo aura héroïque tenant de l’invraisemblance à mesure que l’ex-stormtrooper s’agite en vain. Pis encore, son potentiel originel ne semble être ici qu’un lointain souvenir, tandis que son implication dans le récit se corrèle à un segment scénaristique dramatiquement creux : entraînant dans sa chute une Rose un peu plus fouillée, leur quête du cryptographe vire au risible à mesure que se dessine les contours d’une aventure sonnant plus Disney que Star Wars, le tout étant doublé d’une morale bête et enfantine.
Bien qu’induisant une démarche anti-manichéenne (la Résistance n’est pas irréprochable), rien ne tient donc debout au sein de cette farce fade au possible : objectif d’une facilité effarante, péripéties sur-calibrées (leur fuite à dos de machin) et roue de secours en mode GROSSE ficelle (DJ), le pire est encore à venir au travers d’une impasse invalidant tous les efforts précédemment déployés. C’est donc l’esprit agité d’un « tout ça pour ça ? » que Finn achève de nous convaincre de son inutilité chronique, et ce n’est pas son ersatz d’antagonisme l’opposant à Phasma qui nous fera changer d’avis (la propension marketing de cette dernière dominant encore et toujours les débats).
Cela est d’autant plus regrettable que cet arc a pour conséquence d’alourdir le récit, le montage devant alors jongler entre ses différents enjeux : certes, voilà de quoi compenser la linéarité de la fuite des résistants, mais l’on retiendra davantage de forts malhabiles va-et-vient tronquant l’intensité de scènes clés (encore et toujours la chambre rouge). Mais à l’échelle du film dans sa globalité, admettons que celui-ci demeure cohérent, en dépit d’un rythme virant peu à peu au longuet : là encore, bien que la critique soit facile, les tribulations de Finn sont clairement en cause tant elles rallongent inutilement la durée de The Last Jedi.
Je pense m’être suffisamment épanché sur ce pan d’intrigue, aussi revenons en à cette fameuse notion de risque : sur ce plan, l’évolution et la place des divers protagonistes occupent le cœur des débats, à l’image d’une ère assurément révolue en la qualité des Skywalker. Grandement attendu au tournant, Luke ne cristallise que trop bien cette démarche en faveur d’un renouveau, l’illustre Jedi prenant à contrepied les espérances de tout un chacun : exit le prestige du pourfendeur de l’Empire, celui-ci embrasse désormais de manière unilatérale le calme plat de sa retraite, non sans invalider avec (une certaine) véhémence tout retour sur le devant de la scène.
Notons que le trait est quelque peu forcé, mais ce dénouement apporté à la précédente quête de Rey s’avère plutôt bien traité au bout du compte : cette dernière, à force d’obstination, lèvera le voile sur les motivations crispantes du rejeton de feu Anakin, suffisamment de quoi amoindrir notre déplaisir premier. Doté d’une teneur humoristique parcimonieuse (vas-y que je te balance d’emblée le sabre, I don’t give a fuck), The Last Jedi jongle également bien entre le drame passé de Ben Solo et le nouveau quotidien de Luke, peu à peu plus enclin à influer le cours des évènements ; mais par-delà l’urgence du Premier Ordre, le film fait montre de créativité en ce qui concerne le rapport de son univers au mythe Jedi.
Au gré d’une remise en cause d’un héritage supposément intouchable, le long-métrage use finalement de façon brillante de son fameux personnage, qui se fendra dans un dernier sursaut d’un sacré coup d’éclat. Ne faisons pas la fine bouche, tant son apparition surprise sur Crait va rehausser sans coup férir sa splendeur légendaire : son ultime face-à-face à Kylo nous renvoie qui plus est à l’usage de la force ici à l’œuvre (nous y arrivons), et l’on se surprend (pour de bon) à imaginer le neuvième épisode sous des auspices favorables. Aussi, pourquoi diable faire finalement mourir Luke ? La question mérite d’être posée, son savoureux « See you around, kid » ne laissant pas présager d’un tel tomber de rideau, à croire que le personnage n’anticipait d’aucune façon son trépas... le coup du « je pars en paix avec la Force » se veut donc insatisfaisant au possible.
Pour le reste, le prisme omniprésent de la Force nous ramène donc au duo Rey/Kylo, mais aussi Leia. La place qu’occupe cette dernière est notamment révélatrice des fondements qu’instaure The Last Jedi, tel le témoin d’une passation de « pouvoir » patente entre les Skywalker et Rey (etc.), mais aussi l’un des réceptacles d’une Force ici versatile. Outre une lecture revisitée des préceptes Jedi, son application innovante par le biais de l’illustre Princesse (pour un résultat laissant momentanément bouche bée) n’est ainsi qu’un exemple parmi tant d’autres. La « projection » de Luke abonde en ce sens, clé de voûte d’un dénouement parvenant à compenser la lassitude croissante du spectateur, mais il convient de revenir plus en détail sur le tandem des jeunes pousses.
Mis en balance avec le déclin des Skywalker, l’émergence finale de Rey et Kylo démontre d’une volonté d’installer le prochain volet sur des rails inédits, sans compter le fait que le devenir surprenant de Snoke semble aussi prématuré que couillu : accordons toutefois le bénéfice du doute à ce sacré rebondissement, et gageons que Star Wars IX apportera de salvateurs éclaircissements quant aux origines du Leader Suprême. Mais pour en revenir à notre paire d’apprentis, le lien les unifiant durant une grande partie du film est hautement efficace : manifestation novatrice de la Force, approfondissement conjoint de deux figures déjà convaincantes et crescendo patient jusqu’au paroxysme de la chambre rouge, tout concourt au développement d’un antagonisme non manichéen à outrance... comme pouvait l’être celui liant Luke à Vador (à un autre niveau assurément).
Avec d’un côté l’avènement chaotique de Kylo, grand enfant éperdu de son état, et de l’autre le développement de Rey en tant qu’instrument de forces la dépassant, le spectateur que je suis en vient donc à occulter en partie les errements nombreux d’un long-métrage volontaire : objet à part au sein d’une saga quadragénaire, dont l’amour inconditionnel des fans conduit (trop souvent) à une défiance rageuse à l’égard de tout renouveau, The Last Jedi n’en demeure pas moins un sursaut ambitieux et bienvenu là où les archétypes ont la peau dure.
Bien sûr, le film de Rian Johnson n’est pas exempt de tout reproche (cette critique en contient un paquet), et l’on pourrait souligner en complément une succession d’incohérences (le coup des bombardiers) ou encore des choix scénaristiques douteux de par leur portée (le saut en hyperespace est aussi sublime que sujet à controverse), mais au bout du compte... l’espoir est définitivement de mise, quand bien même l’on ne saurait absolument pas à quoi ressemblera le neuvième volet. Mais est-ce vraiment un mal ? J’en doute.