Je ne savais pas que j’aimais autant Luke… (attention spoilers)
A ce jour, j’ai vu le film trois fois. Deux visionnages sont clairement nécessaires pour digérer l’ensemble des informations de ces deux heures trente-deux, peut-être pas deux fois le même jour mais en fan addict, j’avais posé ma journée, donc j’en ai profité.
Ce film bouleverse la saga, si l’épisode VII est majoritairement considéré comme un plagiat du IV et du fan service, le huitième film Star Wars reprend le mythe pour le briser : il faut tourner le dos au passé. On espérait beaucoup, on a beaucoup mais absolument pas ce que l’on aurait pu imaginer…
Le film est long, le plus long de la saga, mais les temps morts sont quasi inexistants. On suit simultanément, dans une durée temporelle également courte dans le film, quatre histoires qui lient nos protagonistes.
Je commencerai par Poe, puisque le film début avec lui et une magnifique bataille (à voir en Imax). Côté batailles, dans l’espace et au sol, on est servi, tout au long du film, et celle de fin est d’ores et déjà mythique et la prise de commande du vaisseau rebelle par la Générale Holdo avec son passage en vitesse lumière, un véritable bijou. Poe prend une ampleur dans ce film, qui l’impose pour la suite de la saga. Je ne peux pas m’empêcher de voir du Han en lui et son côté tête brulée, bien que je ne sois pas aussi fan du personnage. Rebelle mais peut-être un peu trop, résistant mais au point de résister contre ses chefs, au point de faire des bourdes…
Il m’aurait paru logique qu’il soit informé du vrai projet de la Résistance mais non, Leia et sa suite décident de garder le secret, ce qui ouvre la voie à Finn et Rose d’aller visiter d’autres planètes, de présenter de nouveaux personnages ( je ne vois pas d’autres intérêt à la mutinerie de Poe…)
Voici la seconde partie narrative : Finn est guéri et veut retrouver Rey. Rose s’impose, Poe s’en mêle et Finn se (re)trouve l’âme d’un résistant à la recherche d’un « hacker » capable de bloquer le système qui permet à Snoke et sa bande de suivre la Résistance lors des sauts en vitesse lumière.
J’ai beaucoup aimé le personnage incarné par Benicio del Toro, petit clin d’œil peut-ête à Boba Fett pour le côté mercenaire. Le côté désabusé du personnage, qui ne croit en rien, mode « y’a pas de méchants, y’a pas de gentils, tout est business ». Pour le reste, c’est la partie du film que j’ai le moins appréciée.
Clairement, l’intérêt de cette partie (les enfants notamment) est là pour la suite de la saga, mais elle n’apporte rien à l’intrigue, hormis donner la voix au peuple et passer un petit message via Rose, l’amour plus fort que tout. Clin d’œil final, le balai qui arrive seul dans la main du petit garçon, dont le regard brille de défi et combativité, comme celui d’un autre petit garçon esclave sur une planète de sable, il y a trois générations de cela.
Vient le plus beau, le plus prenant, le plus triste… Luke, Rey, Kylo…
D’abord Luke et Rey. J’avais beaucoup d’interrogations sur ce Luke ermite sur son îlot de verdure. Dans la trilogie, Luke symbolise d’abord l’espoir du renouveau Jedi avant de s’imposer comme le Maître Jedi qui va enseigner le côté lumineux de la Force à une nouvelle génération. Pendant 31 ans, j’ai eu cette conviction.
Et là, le Maître Jedi lui-même explique qu’il a échoué. Il ne veut plus enseigner, il s’est fermé à la Force. L’image du gentil Jedi qui ramène le grand Darth Vader sur la voie est écornée. Je me suis sentie aussi déstabilisée que Rey, en perte de repère. Obi Wan avait choisi de vivre en retrait mais malgré le basculement d’Anakin vers le côté obscur, malgré l’anéantissement quasi-total de l’ordre Jedi, il n’a jamais cessé de croire : Luke, le Nouvel Espoir, n’a plus d’espoir.
Et ça fait mal, se dire que toute cette lutte (d’Episode IV à Episode VI) a conduit le héros modèle à un homme brisé, désabusé, en souffrance, ça fait mal. Rey échoue à le faire changer d’idées et c’est R2-D2 (dont je ne me lasserai jamais) qui le remet tant bien que mal sur le droit chemin en rediffusant le sacro-saint message de Leila, à l’origine de tout. Moment bref mais émouvant, avant le début de « l’apprentissage »… Bref moment lui aussi. La puissance de Rey l’effraie, lui rappelle trop Kylo Ren avec qui il a échoué. Il le dit et le répète, il n’est pas celui que l’on croit qu’il est. Rey maintient : les gens ont besoin d’une légende, il est cette légende.
On arrive au quatrième arc scénaristique : Rey/Kylo.
La Force a décidé de les réunir (Snoke s’en attribue l’exploit mais cela perdure après sa disparation), alors chose inédite dans Star Wars, Rey et Kylo se parlent, se voient, peuvent même se toucher malgré la distance (bienvenue dans le monde Sense8).J’ai beaucoup aimé cet aspect de la Force et les échanges de Kylo et Rey sont intenses, émouvants. On sent qu’entre ces deux-là, quelque chose de très fort est en train de naître. Puis cela tombe comme un couperet : oui Luke a échoué, totalement. Oui c’est lui qui a fait Kylo Ren. Une erreur, brève, mais le manque de confiance, la peur qu’il ressent face à son apprenti, cela suffit à ouvrir la porte au côté obscur. Tiens, me direz-vous, un air de déjà vu : ce ne serait pas l’histoire d’Anakin ? Oui… mais non… Kylo s’est tourné vers Snoke pour des raisons différentes. Ce qui motivait Anakin c’était l’amour. Kylo voit comme une évidence que les Jedi ne peuvent réussir, que le passé ne doit pas renaître. Comme Palpatine se trompe par excès de confiance en lui-même et son contrôle sur son élève, Snoke récidive et meurt. Deuxième tremblement de terre : celui que l’on croyait être le grand méchant n’est là que pour servir le personnage de Kylo Ren/Ben.Conséquence immédiate : toutes les questions sur les origines de Snoke et du Premier Ordre vont demeurer sans réponse : frustrant, très frustrant. Franchement, cinq petites minutes auraient pu expliquer bien des choses, mais clairement, le mot d’ordre des scénarises est : on s’en fout de Snoke… Donc contents ou pas, rien à espérer de ce côté-là. En ce qui me concerne : pas contente pour ce point-là.
La mort de Snoke met logiquement Kylo Ren en position de leader mais ce que Rey espère n’arrive pas. Ce Ben qu’elle perçoit encore parfois, ce Ben en qui elle croit et part rejoindre lorsque Luke ne peut plus, ne veut plus lui donner ce qu’elle recherche, ne cède pas et dévoile son véritable but : il faut laisser mourir le passé, le tuer s’il le faut… les Jedi, les Sith, la Résistance, le Premier Ordre, rien ne tient la route pour Kylo, tout est obsolète, tous répètent sans cesse un cycle stérile. Et combien il a raison… Tout ça n’a pas fonctionné à l’époque d’Ani, et Luke à son tour a prouvé qu’il échouait.
Le personnage de Kylo Ren prend toute son ampleur dans cette scène. Ses fêlures, l’ambiguïté de ses sentiments, sa souffrance, tout éclate, s’étale sans pudeur, car si Rey retient, se ment à elle-même, Kylo est limpide, clair, il ne se défile pas. Mais ça ne fait pas de lui Le Méchant. Comme Vador n’était pas Le Méchant qu’on voulait bien voir. Si l’univers Star Wars paraît manichéen, les personnages phares ne le sont pas, et ce film en est l’exemple type avec Kylo et Luke. Et les deux acteurs le montrent admirablement, Mark Hamill est fabuleux, Adam Driver n’est pas en reste, leur jeu est poignant et émouvant.
Le face à face final Luke/Kylo est bouleversant.
Kylo se perd dans sa haine, qui est presque palpable. J’imagine que c’est l’aspect physique de Luke qui m’a fait comprendre immédiatement qu’il n’était pas là, ou bien le sabre laser (qui était entre les mains de Rey) ou encore l’absence des traces rouges sur le sol, mais j’ai aussi tout de suite compris qu’il était à sa fin. Et les larmes se sont mises à couler, je suis restée sans souffle, écrasée par un sentiment de perte. Et là j’ai réalisé que je ne savais pas que j’aimais autant Luke… Ca a toujours été Vador pour moi, Vador avant tout. Han volait la vedette dans les scènes avec Luke. Luke était le gentil de l’histoire, le deuxième héros, et à la fin, le Maître Jedi qui recréer l’ordre…Mais non, Luke était plus profond que ça. Luke, après tout n’a jamais véritablement terminé sa formation. En voyant ce qu’était une véritable formation Jedi dans la prélo, je me suis souvent dit que la formation de Luke avait été quasi inexistante (et un ami m’a fait la même réflexion avant d’avoir vu le film). Yoda a souvent dit qu’il était trop vieux, trop impatient… Il lui redit à peu près les mêmes choses, je n’aime pas trop cette scène en fait, elle me dérange car elle ridiculise Luke, qui va pour brûler l’arbre et les grimoires puis recule et s’insurge presque contre Yoda lorsqu’il le fait pour lui (et l’arbre qui brûle prend la forme du symbole de la Résistance).
La mort de Luke est peut-être la plus belle de la saga, la plus inattendue aussi, du moins en ces circonstances. Il meurt en héros, au moment où les deux soleils se couchent, écho aux lunes de Tatooine. Sa mort ramène l’étincelle, il meut en paix. Oui c’est triste, déchirant, mais Star Wars c’est aussi ça.
Kylo reste seul, écrasé par sa rage. Un bref instant, j’ai cru que Rey allait lui tendre à nouveau la main. L’expression dans son visage laissait entendre qu’il en avait besoin. Mais leurs aspirations et leurs visions des choses sont trop différentes.
Je n’ai pas parlé de Rey, probablement car elle m’a moins marquée que Kylo Ren.
On sent une évolution vers la sagesse, elle est plus posée à la fin, plus sûre. Rey a accepté son passé : là encore, badaboum, Rey sort de nulle part. Bon choix compte-tenu de la tournure scénaristique choisie ; la Force est partout, sur Tatooine, sur Jakku, sur Crait. Peu importe l’ascendance. Contrairement à Snoke dont on ne connaître pas l’origine, celle de Rey ne m’a posé problème car finalement elle ne crée pas de manque. Globalement, elle en impose moins que Kylo dans cet épisode.
Hormis Snoke et son passé perdu, l’absence de lien entre Rey et un personnage connu, ce film contient la scène la plus absurde de la saga tout entière, à savoir la balade spatiale de Leia qui nous revient vers le vaisseau en mode Superman sans cape… là, franchement, je ne comprends pas. Si l’idée était de montrer les différentes facettes de la Force, c’est raté. Entre voir des échanges quasi-physiques entre Kylo et Rey, un hologramme projeté par Luke ( ou précédemment des sauts dans le vide d’Anakin dans Episode II par exemple) et cette scène, il y a un monde. C’est juste pas crédible et ridicule, point
.
A la fin de la première séance, je n’ai pas été capable de dire si j’avais aimé ou pas le film tant j’étais bouleversée par tous ces changements dans mon univers. Je peux dire aujourd’hui que j’ai adoré, et si je ne le classe pas dans le trio de tête, il est clairement dans le quatuor avec III, V et IV.
Il fallait vraiment oser prendre ces risques et cette direction, dénigrer le sacro-sainte lutte Jedi-Sith. Mais j’adore, vraiment, car cela suit une vraie logique dans l’histoire, et aussi un écho à mon opinion sur les Jedi et les Siths. Reste à voir si Kylo Ren et/ou Rey, parviendront à amener véritablement l’équilibre. Kylo veut tout détruire pour changer les choses. Au final, il ne fait pas de différence, il peut tuer son père comme Snoke car il pense que c’était un mal ou un bien nécessaire. Ces sentiments n’entrent pas en compte. En ça, il est trop absolu, et recrée forcément un clivage car il ne peut pas y avoir de consensus dans l’absolutisme, juste une force opposée en face, la Résistance. Kylo ne donne pas d’espoir or le peuple a besoin d’espoir, de légende. Il pense que les légendes n’apportent rien, mais pourtant il a pour modèle son grand-père, encore une ambiguïté (qui enrichit le personnage).
Mais tout cela met une claque et bouleverse la saga, il met à mal le mythe pour lui donner un nouveau souffle, l’entraîner ailleurs, vers l’inconnu. La légende renaît alors qu’une légende meurt.