Les Derniers Jedi (qui à mon avis gagnerait à être traduit au singulier, mais passons) n'a pas une position facile : passer après l'introduction modèle géant qu'était Le Réveil de la Force et assurer la transition pour le futur épisode IX. Il n'est donc pas exagéré de parler d'épisode-charnière, et son plus gros problème à mon sens est qu'il ne l'assume pas du tout. Comme pour se démarquer de son prédécesseur, dont il est vrai que le respect pour la saga originale le rigidifiait au point de le transformer en pâle redite, ce film affiche son insolence et sa distance. Cela pourrait tout à fait fonctionner pour un film seul, mais je pense que c'est une lourde erreur dans le cadre d'une trilogie dont les volets sont aussi solidaires les uns des autres.
Cet opus est une sorte de dégagisme en action : rien n'est sacré, ni personne d'ailleurs. Et il faut dire que c'est rafraîchissant, au premier abord. Voir le film prendre un malin plaisir à casser les idoles d'une saga aussi sacrée a quelque chose d'excitant, une audace qui surprend, déconcerte, mais n'est pas foncièrement désagréable. Ce ton est en plus accompagné de choix esthétiques forts, qui créent des images marquantes et souvent franchement belles, souvent plus travaillées que celles de l'épisode VII. De plus, le film aborde des thématiques fortes, et pas les plus faciles à traiter. Le fameux dernier Jedi doit affronter sa propre angoisse, celle de l'échec de la transmission de son héritage.
Mais voilà : je ne vous apprends rien, les films VII, VIII et IX sont pensés comme une saga d'un seul tenant. Dès lors, même si le film décide de faire table rase du passé et de dédramatiser les enjeux que l'épisode précédent avait posés, il est obligé d'en proposer de nouveaux sous peine de priver la dernière partie de la trilogie de tout intérêt dramatique. Malheureusement, pour toute l'impertinence dont le film fait preuve à plusieurs reprises, il n'a jamais le courage de proposer des idées fortes. Or, ce manque d'engagement a pour effet délétère d'affaiblir son scénario, mais aussi celui de son prédécesseur, dont les lacunes scénaristiques, principalement l'univers posé sans explication à l'époque, sont soulignées à grands traits. On pouvait légitimement attendre de l'épisode VIII qu'il apporte une densité supplémentaire aux personnages, dont on se sait rien des raisons de leur présence ou de leur choix moraux, et un contexte au passage d'une victoire des Jedi à une domination du Premier Ordre. L'absence de prise de risque dans le récit fait que le cadre de la nouvelle trilogie passe d'un univers plein de promesses à une esquisse de situation dont vacuité consterne et inquiète pour l'épisode à venir.
La déception est d'autant plus intense que la radicalité des choix posés au début du film m'a conduit à espérer une vraie audace dramatique dans l’œuvre. Au contraire, au moment de faire des choix décisifs le film retombe dans une facilité tristement prévisible, qui enferme la suite à venir dans un chemin étroit et ennuyeux, ou dans l'obligation d'infléchir son récit au dernier moment. Je ne peux pas m'empêcher de voir dans ces erreurs la terrible patte lissante de Disney qui à force de ne jamais vouloir fâcher personne ne propose jamais rien d'intéressant ou de touchant.
Cet épisode VIII ne fait donc rien évoluer, propose de belles scènes mais fait s'embourber le récit, ce qui me rend très dubitatif quant au futur épisode IX, seul espoir de relancer l'intérêt de l'intrigue de cette trilogie, que ce film ne parvient pas à faire vivre de façon convaincante.