L'histoire de Serge Alexandre Stavisky, ou « le beau Sacha », permet à Alain Resnais de réaliser un film à la fois politique, onirique et théâtral, dont l'esthétique emprunte beaucoup à l'univers de la bande-dessiné. Une œuvre de transition, son dernier film politique, mais qui se démarque clairement du tryptique Hiroshima mon amour, Muriel, La guerre est finie, par son aspect narratif et classique.

S'il s'agit probablement d'une œuvre mineure de Resnais, qui n'a pas révolutionnée le cinéma comme certaines de ses plus grandes oeuvres, on comprend néanmoins ce qui a pu le passionner dans cette histoire avec un grand H : il s'agit sans doute des multiples personnalités de Stavisky, un personnage-acteur, qui endosse des rôles pour s'enrichir et mener la grande vie. Il était Stavisky, il veut qu'on l'appelle Serge Alexandre, on le surnomme Le Beau Sacha. Stavisky est donc l'énigme du film, le centre fuyant de la spirale, comme l'étaient A et X dans L'année dernière à Marienbad. Le récit tangue entre les différentes époques, grâce à un montage tout en ellipses, en coupures nettes, typiques du cinéma de Resnais. Le personnage est un puzzle qui se reconstitue progressivement, par une série de témoignages, dont certains datent d'après sa mort. De manière délibérée ou non, Stavisky semble être le film le plus « Welles-ien » de Resnais, évoquant d'une certaine manière Citizen Kane et Monsieur Arkadin. Resnais s'amuse donc à complexifier l'histoire, en succédant des scènes courtes, comme pour nous dire qu'il n'y aura jamais une seule vérité. Le film se conclue d'ailleurs sur un dernier mystère : Stavisky s'est-il suicidé ? Ou a-t-il été assassiné ? Resnais a l'élégance de ne pas orienter le choix du spectateur.

Pour la mise en forme de cette reconstitution historique, le cinéaste choisi d'emprunter autant au théâtre qu'à la bande-dessiné des années 30. Tous ces personnages en haut de forme convoquent le souvenir de Mandrake, et le panache de l’insaisissable Stavisky, campé par un Belmondo cabotin, évoque les feuilletons de Fantomas. On sent le virage ammorcé par Resnais depuis son film précédent Je t'aime, Je t'aime, et qui le mènera jusqu'aux films Azéma-Arditi-Dussollier. Le chef opérateur, Sacha Vierny, qui collaborera avec lui jusqu'à L'amour à mort, créé une lumière chatoyante, irréelle, qui souligne l'aspect onirique qui flotte sur l'adaptation de cette histoire vraie. Tout au long du film, par petites touches, il est question de fantômes, grâce à une mise en abyme de Giraudoux, et de rêves prémonitoires vécus par Arlette, la compagne de Stavisky, interprétée par Anny Duperey.

Quant aux décors, signés Jacques Saulnier (décorateur de Resnais de L'année dernière à Marienbad à Aimer, Boire et Chanter), ils accentuent la théâtralité du film. Ils sont fréquemment filmés en plans larges, les personnages s'y déplaçant comme sur une scène de théâtre.

Tous ces éléments esthétiques et thématiques servent ici un scénario plus classique qu'à l'accoutumée, et ne semblent n'être ici qu'une « marque de fabrique Resnais », et non l'objet d'une expérimentation formelle comme a su le faire ce grand maître du cinéma moderne. Resnais semble plus que jamais avec Stavisky vouloir se placer en simple faiseur. La théâtralité au cinéma, la mort, les identités mouvantes des personnages : autant de réflexions qu'il poursuit bien à travers Stavisky, mais en mode mineur.
BlueKey
6
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Top Alain Resnais

Créée

le 18 mars 2014

Critique lue 1.1K fois

5 j'aime

BlueKey

Écrit par

Critique lue 1.1K fois

5

D'autres avis sur Stavisky

Stavisky
AMCHI
6

Critique de Stavisky par AMCHI

Mise en scène soignée, belle interprétation et un casting de choix (on a même droit à une scène entre Bébel et Depardieu tout jeune et encore inconnu), beaux décors mais un scénario qui manque...

le 14 sept. 2022

13 j'aime

2

Stavisky
-Marc-
5

Au carrefour de l'histoire

Serge Alexandre Stavisky est assurément un personnage fascinant. Syphilitique au dernier degré et poussé par l'urgence, l'homme brule de tous ses derniers feux. Mythomane, manipulateur et flamboyant,...

le 24 mai 2018

11 j'aime

4

Stavisky
Zolo31
6

Les piégeants bons de Bayonne

Intitulé du nom du principal protagoniste et non intitulé l'affaire Stavisky, le film d'Alain Resnais se concentre sur un personnage qui a eu une vie de personnage de roman. Serge Alexandre (alias...

le 13 sept. 2022

10 j'aime

6

Du même critique

Mulholland Drive
BlueKey
10

Critique de Mulholland Drive par BlueKey

Sorti en 2001, Mulholland Drive est rapidement considéré comme l’un des plus grands films de David Lynch et comme l'un des chefs d’œuvres du cinéma. Face à ce film retors, le spectateur peut se...

le 16 juin 2013

16 j'aime

Hercule Poirot
BlueKey
8

Critique de Hercule Poirot par BlueKey

Un téléspectateur français, de moins de 70 ans, pourrait croire que regarder Agatha Christie’s Poirot équivaut à regarder L’inspecteur Derrick, puisqu’elle est majoritairement regardée par le même...

le 16 nov. 2015

15 j'aime

3

Aimer, boire et chanter
BlueKey
7

Critique de Aimer, boire et chanter par BlueKey

Depuis les années 90 et sa première adaptation d'une pièce d'Alan Ayckbourn, on peut constater que les films d'Alain Resnais fonctionnent en duo, consciemment ou inconsciemment de la part du cinéaste...

le 26 mars 2014

11 j'aime

1