J’ai vu Steve Jobs lundi (il vous passe le bonjour). Qu’en penser ?
– La désagréable impression de me retrouver devant le pilote d’une série qui n’a pas convaincu les producteurs et qu’ils ont donc refusé de commander le show.
– Ce qui amène à forcement se poser des questions sur le choix du technicien filmeur qui ici ne sert à rien. Aaron Sorkin est le showruner. Soyons sérieux, la seule fois qu’un scénario de Sorkin a réussi à produire quelque chose de cinématographiquement intéressant c’est lorsqu’il a du faire face à un réalisateur : David Fincher. Au cinéma, Sorkin doit être contredit.
– Ceci dit « Steve Jobs » est loin d’être une merde : forcement Aaron Sorkin est aux commandes. La principale qualité du long métrage est de rejeter radicalement le biopic de Steve Jobs. Le film est bien plus l’autobiographie de Aaron Sorkin que du patron d’Apple. Le scénariste met en image ses propres névroses, ses obsessions et sa relation à la famille très problématique. Ce qui rend cette production vraiment intéressante c’est la façon dont l’écrivain se projette autant dans Steve Jobs que dans Steve Wozniak. Le fait qu’ils aient le même prénom renforce cette idée qu’il s’agit d’une vision schizophrénique de Aaron Sorkin et non de Steve Jobs en tant que « patron » d’Apple.
– On vient donc au ressenti public et critique. J’ai lu ici où là que le film « Steve Jobs » confortait les préjugés sur les génies. Que ces derniers, c’est bien connu, sont humainement des salopards, voire des psychopathes. Je ne vois pas en quoi ce film confirme cette impression. Oui, il décrit bien Steve Jobs comme un sociopathe et les témoignages sont nombreux, en dehors de l’œuvre, confortent dans l’idée que Jobs était dément. Mais l’intérêt du long métrage est de bien montrer que ce n’était pas Steve Jobs le génie. Le prodige est Steve Wozniak. Et Wozniak, en plus d’être un surdoué, est loin d’être dingue, il est humain. Là encore, on retombe dans le portrait de Sorkin. Il y a deux Sorkin : l’un est accro autant au travail qu’a la cocaïne, incapable de se plier aux conventions sociales. L’autre est idéaliste se battant pour démontrer l’importance des institutions démocratiques (The West Wing, The Newsroom). Bref, les deux Steve...Il y a donc mal donne. À ce propos la scène pivot du récit est celle où Michael Fassbender explique à Kate Winslet qu’il faut préférer le détail de ce qui est dit à l’idée générale.
– On en vient à un point primordial et sans doute le vrai échec du film. Il y a des détails qui ne trompent pas : il ne s’agit pas ici de dresser le portrait d’un inventeur génial complètement taré (ce que semble vouloir faire Danny Boyle - oui c'est lui qui fait joujou avec la caméra). Mais de montrer ce que nous spectateur, consommateur nous avons cherché à promouvoir. Nous avons désiré, nous avons appuyé un monde où le plus sur moyen de gagner de la thune est d’utiliser nos pires névroses. Le projet d’Aaron Sorkin s’inscrit dans son œuvre, Steve Jobs n’est pas le portrait d’un génie. Mais c’est la preuve la plus éclatante que les dirigeants des multinationales sont des sociopathes. Ils usent des méthodes des prédicateurs religieux pour appuyer leur pouvoir et asservir le reste du monde.
– Steve Jobs est d’origine syrienne. Je ne pense pas que ce détail ai échappé à Aaron Sorkin.