Le cinéma de Todd Solondz est d’un cynisme éblouissant. Eblouissant car il n’est pas vain, il s’attache au contraire à débarasser tous les personnages en face de nous de leur enveloppe sociable pour taper au cœur même de leur essence. Ce procédé à lui seul suffira à lui donner l’étiquette de cinéma trash et à mettre mal à l’aise une partie du public car si dans Storytelling, aucun personnage ne peut s’attirer notre sympathie (ils sont tous pathétiques à un degré plus ou moins intense), leur essence se trouve mise à nue, et bien souvent malmenée par l’aigreur des autres protagonistes. Et dans les manies les plus anodines, le film parvient à capter le malaise ou la vanité des actions des personnages. Je prends ici l’exemple du personnage de Paul Giamatti, qui pour trouver un financement de son projet de documentaire, appelle une de ses anciennes amies de fac qui travaille en production. La conversation s’engage gentiment, et très vite, Paul lui demande si elle produit toujours des films, ce qui n’est plus le cas. Alors, pour ne pas avoir l’air de ne l’avoir appelé que pour cela, il se lance dans une longue conversation de prises de nouvelles ponctuées de silences gênants, car l’un et l’autre n’en ont rien à foutre de leurs vies respectives. Ces instants banals sont d’une violence rare, car régulièrement observable dans la vie de tous les jours.


Volontiers iconoclaste, le cinéma de Solondz ne passe toutefois jamais dans le stade de l’empathie complète, il a toujours une certaine distance avec ses personnages, ce qui bloque chez moi le passage à 10/10 (que Magnolia avait franchi). Toutefois, la cruauté banale constamment exposée dans ses travaux a cette énergie jubilatoire qui nous fait compter les points de saloperies marqués par nos protagonistes. C’est un jeu cathartique un brin pervers dans lequel Todd excelle, car la banalité des méchancetés touche toujours la sensibilité du spectateur, et ce dernier, à défaut de s’identifier, partage les souffrances avec la même acuité que les personnages. Fort toujours de ces qualités et emprunt d’un pessimisme inéluctable, Todd continue de faire ses petits travaux, sans offrir de rédemption salvatrice, mais en nous plongeant toujours dans un tourbillon d’existence qui enchaîne les piques comme les gags d’une comédie française. Tout simplement vivifiant.

Voracinéphile
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le 22 févr. 2016

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