Strange Days
7.1
Strange Days

Film de Kathryn Bigelow (1995)

Le futur, comment le voyez-vous ? Ici, c'est un schéma basique de tension gigantesque entre des gangs ethniques répartis dans la population et un état policier répressif élu par des citoyens qui font profil bas. Et sur ce logiciel basique, le film n'arrête pas de broder des détails cohérents qui fonctionnent. Ainsi, plus le temps avance, plus les tensions primaires (comprendre communautaires) refont surface dans une Amérique où la société sert de paravent (rien ne se passe dans cette dernière, elle es un prétexte pour lequel personne n'est dupe, comme avec cette célébration du nouveau millénaire pour lequel tout le monde se rassemble, mais avec d'autres idées en tête (l'affrontement de l'oppresseur policier, l'effondrement du système...)), les décisions étant prises dans la société parallèle des escrocs et donc des gangs ou par la haute société dans des sphères que l'on ne peut atteindre, sinon au cours de très brefs évènements publics. D'ailleurs, il est absolument génial de voir dans ce film un rappeur noir candidat à un poste de sénateur. C'est d'une logique tellement limpide que je crois vraiment que d'autres exemples de ce style (type Schwarzenegger) vont se reproduire et se conforter. Car les gens se foutent de la politique maintenant, elle a prouvé qu'elle les ba*se dès que possible, qu'elle n'a besoin que de leur vote comme preuve de soumission/légitimité et continuer son petit théâtre démocratique. Mais les gens adulent les modèles, se prennent d'affection pour les Hommes. Et ces personnes, constatant leur célébrité et leur influence, peuvent aussi avoir envie de soutenir leur public, leurs ouailles, et les défendre sur d'autres terrains que la création musicale. Peu importe alors la maladresse des discours et les raccourcis énormes de la pensée (le rappeur assimile l'uniforme et les "blancs"), il monte au créneau, est soutenu par une forte minorité et est propulsé dans la sphère politique en devenant un objet délicat à manipuler pour les autres autorités déjà en places, qui doivent alors composer avec.


Par dessus ce logiciel politique déjà proche de la guerre civile à connotation raciale, vient se greffer le prétexte SF, cette histoire de casque enregistrant les pensées sensorielles, que le film exploite à fond. Vraiment, c'est rare de voir un concept dont toutes les pistes sont explorées, parfois avec une virtuosité confondante (le sadisme du serial killer). Le statut illégal n'empêche pas aux enregistrements d'avoir un statut juridique, car la pratique est devenue tellement courante (et source de revenus pour les nombreux désintégrés de la bonne société (braqueurs, prostituées...) qui trouvent dans la vente de leurs souvenirs une manne providentielle. Voir alors ce concept gadget créer une seconde intrigue enrichit davantage le contexte du film, et participe beaucoup à l'impression d'aboutissement ressentie tout du long.


Hélas, le film veut garder une optique optimiste, qui l'oblige à saborder lui même sa fin. On passera sur l'anecdote du psychopathe, l'intrigue est plus captivante que l'issue, relativement plate malgré sa confrontation burnée. C'est surtout le climat racial, toute cette tension prête à exploser, qui commence même à exploser alors qu'une noire arrêtant 2 policiers (cherchant à l'éliminer) sans les tuer se fait tabasser par des flics en tenue anti émeute. Quand un tel déclenchement se lance, on ne s'arrête plus sur un coup de feu. La police arrête 2 de ces membres et va les juger pour meurtre ? Alors qu'ils viennent d'achever un symbole et qu'on a une guerre civile imminente ? Va-t-on croire qu'un exemple de justice va désamorcer des années de pressions sociales et d'injustice ? (Car les populations pauvres subissent complètement l'état policier). En voulant rester positif sur l'entrée dans le 21ème siècle, le film se plante et nous fait le coup du symbole qui amorce un changement, sauf qu'on voit mal ce qui peut potentiellement changer. D'où un amer goût de simplicité finale qui endommage nettement l'appréciation globale de l'ensemble. Allez, on reste bon public quand même, pour avoir échauffé notre esprit de cette manière pendant sa plus grande partie, on retiendra de ce film un univers fort intéressant doublé d'une intéressante utilisation du cachet "années 90 dark future" et d'une véritable audace technique qui, 15 ans avant enter the void, se prêtait à l'exercice de la caméra subjective avec une véritable envie d'immersion. Passionnant dans son genre.

Voracinéphile
7
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le 19 mars 2016

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