Avec son sujet et casting en or, Strictly Criminal avait tout pour séduire son public. Mais comme pour son précédent film Les brasiers de la colère, Scott Cooper livre une oeuvre dépourvue d'âme, ne parvenant pas à rendre l'histoire passionnante. Johnny Depp est méconnaissable, cela ne rend pas pour autant sa performance impressionnante, il peut remercier son maquilleur qui mérite un oscar.
On va suivre l'ascension de Whitey Bulger (Johnny Depp), caïd de la mafia irlandaise de Boston, avec le soutien de son ami d'enfance et agent du FBI, John Connelly (Joel Edgerton).
Les criminels sont souvent fascinants. Le cinéma aime ce genre de personnalités : Tony Montana (Scarface), Don Corleone (Le Parrain), Al Capone (Les Incorruptibles) où encore Clyde Barrow (Bonnie & Clyde), qu'ils soient réels où fictifs, ils possèdent une aura particulière, les rendant presque sympathique. Ils sont aussi interprétés par de grands acteurs : Al Pacino, Marlon Brando, Robert de Niro et Warren Beatty, ce que n'est pas Johnny Depp. Il y a un gouffre entre ces acteurs légendaires et lui, qui ne sera pas combler à la fin de sa prestation. Il aime endosser un costume pour faire exister son personnage, comme dans : Edward aux mains d'argent, Ed Wood, Las Vegas Parano, Pirates des Caraïbes où Lone Ranger. C'est son talent, il le fait bien, comme dans ce film où il prend l'apparence de Whitey Burger. Grâce au maquillage, il peut l'incarner, mais oublie de le rendre impressionnant, voir terrifiant. Il n'est pas pour autant sympathique, mais à aucun moment, on a le sentiment d'être face à un criminel violent, ni à un caïd. Il manque ce "truc" qui pourrait rendre la performance inoubliable. Jack Nicholson s'était inspiré de Whitey Burger, pour incarner Frank Costello dans Les Inflitrés, le remake de Martin Scorsese d'Internal Affairs. On sentait la violence du personnage, il inspirait la terreur autour de lui, ce qui n'est pas le cas de celui interprété par Johnny Depp. C'est à l'image du film, tournant souvent à vide, en ne sachant pas comment raconter cette histoire.
Cela débutait pourtant bien avec Kevin Weeks (Jesse Plemons) en narrateur, avant que l'on se rende compte, qu'il est juste un homme de main parmi tant d'autres. On a souvent une voix off dans les films traitant de la mafia. Cela permet de mieux cerner les protagonistes et les enjeux de l'histoire. Elle disparaît trop rapidement, nous laissant seul face à un scénario ambitieux, mais n'effleurant que la surface de son potentiel dramatique.
Le personnage méritait une fresque plus dense et complexe. Son enfance ne sera pas aborder, ni l'absence du père. On le retrouve déjà à la tête d'une petite équipe, qui n'évoluera jamais. On ne peut faire la différence entre son statut de criminel, puis de caïd. Il en va de même de ses rapports avec son frère sénateur Bill (Benedict Cumberbatch). Deux trajectoires différentes et pourtant, cela n'est pas vraiment aborder. Le seul vrai changement se trouve dans l'attitude de John Connelly (Joel Edgerton). Un agent du FBI à la vie bien rangée, qui va basculer dans la criminalité à force de côtoyer ce milieu. Mais là encore, elle se fait sans subtilité et Joel Edgerton ne convainc pas. Le réalisateur Scott Cooper est souvent salué pour sa direction d'acteurs, mais avec un casting aussi prestigieux, dont on peut aussi citer Kevin Bacon, Peter Sarsgaard, Corey Stoll, Adam Scott, David Harbour où James Russo, on est en droit à s'attendre à autre chose qu'un défilé de gueules. Pire encore, il y a l'absence flagrante d'un personnage féminin fort. Certes, c'est un milieu machiste, surtout que cela se déroule dans les années 70/80, mais elles font juste des apparitions, coincées dans des rôles proche de la figuration.
L'ascension est invisible. Whitey Burger dirige la mafia irlandaise, mais cela ne se voit pas. Il est en conflit avec la mafia italienne, mais cela se voit à peine. Il palpe beaucoup d'argent, mais cela ne se voit presque pas. Il ressemble à Neal McDonough et là, cela se voit bien. C'est difficile de dissocier le film, de la prestation de Johnny Depp, tant tout semble se reposer sur ça.
Scott Cooper filme ses acteurs en gros plan, du moins au début. La première scène ou apparaît Whitey Burger, est particulièrement réussi, comme celle avec Kevin Weeks. Les bases semblent intéressantes, mais le récit se dissout au fil des minutes, comme s'il ne savait pas vraiment quoi faire de son personnage principal. L'histoire était-elle trop grande pour ce jeune réalisateur ? C'est l'impression qu'il laisse à la fin de la séance. Il y a aussi ce sentiment de gâchis, alors que c'était prometteur. C'est une énorme déception.
Ni la performance de Johnny Depp, ni le scénario ne sauve ce film, plutôt bien réalisé, mais n'arrivant jamais à décoller. C'est une oeuvre mineure, qui permet tout de même d'offrir un éclairage plus conséquent sur un criminel méconnu dans notre pays, où la criminalité n'existe pas.