Lorsque les romanciers Boileau et Narcejac surent que Hitchcock avait souhaité acheter les droits des "Diaboliques", ils écrivirent spécialement pour lui "D'entre les morts" dont la Paramount acheta aussitôt les droits. Hitchcock transposa le décor français à San Francisco et modifia considérablement certains des rapports psychologiques établis entre les personnages. Le héros incarné par James Stewart est précipité dans une ténébreuse affaire, Hitchcock jouant à la fois sur la beauté de San Francisco et de ses environs, le vertige de Stewart, une BO hypnotique de Bernard Herrmann, et le thème du double ; il crée un film passionnant quoique volontairement lent et contemplatif par endroits, et avec une baisse de rythme au milieu, mais rien de bien grave.
On a beaucoup glosé sur la perversion de Sueurs froides, non sans raison, Hitchcock en vieux roublard, parlait même d'une pointe de nécrophilie à propos de la passion maladive éprouvée par James Stewart pour une morte, pour l'ombre de Kim Novak dont il tombe amoureux et qu'il cherche à recréer. L'intrigue passe en effet au second plan pour mettre en relief le cheminement de la fascination morbide de Stewart pour Novak, son amour n'existe que parce qu'il ne peut s'accomplir. Le film est donc volontairement ambigu, riche en références multiples, et notamment sexuelles, le scénario est enchevêtré, complexe, subtil, diabolique, où la mystification a rarement été aussi bien dispensée, le suspense aussi bien distillé. On est embarqué dans une incroyable histoire qui se ramifie en deux, on ne comprend pas, et brusquement on comprend tout. Tout ceci est admirablement soutenu par la lancinante et envoûtante musique de Herrmann qui souligne des scènes capitales mais aussi des moments plus lyriques.
Hitchcock s'est souvent exprimé sur Kim Novak, il évoque l'actrice lors du tournage dans les entretiens qu'il a donné à François Truffaut, on sait qu'il n'appréciait guère son jeu d'actrice et que sa relation sur le plateau fut orageuse ; qu'il la jugeait trop ouvertement érotique pour le rôle, et qu'il aurait souhaité Vera Miles, blonde qui correspondait à son type d'actrice qu'il avait déjà employée dans le Faux coupable, et qu'il ré-emploiera dans Psychose ainsi que dans un épisode de sa série TV. Mais celle-ci tomba enceinte et Hitchcock dut se rabattre sur Kim Novak imposée par la production. En fait il avait tort, car Novak convient parfaitement pour ce double rôle, elle se révèle distinguée d'une part et vulgaire d'autre part, et on ne peut rêver mieux comme couple disparate (donc plus excitant) que celui qu'elle forme avec Stewart. Il est fragile, fébrile, soumis à son vertige, elle est tout en chair, assurée, mystérieuse, ce couple est le reflet des recoins les plus obscurs de l'esprit humain.
Sur le plan technique, Hitchcock innove ici car il inaugure une astuce technique jamais utilisée auparavant et qui sera imitée ensuite : pour donner l'effet de vertige et l'impression que tout le décor s'éloigne du personnage, Hitchcock eut l'idée de mêler un travelling arrière à un zoom avant dans la scène du clocher de la cage d'escalier, et puisque aucun personnage ne figurait dans la scène, ce plan fut réalisé en maquette à l'horizontale.
En plus de 60 ans, ce film s'est bonifié comme les meilleurs alcools, il est culte et c'est sans aucun doute le film le plus troublant, le plus métaphysique et le plus surprenant du Maître.