Show must go home
Le grand bouleversement qui a terrassé l'industrie du divertissement, au cours de ces 30 dernières années, tient en deux points. La fin d'une certaine possibilité d'émerveillement serait presque...
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le 3 août 2016
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Pendant les deux tiers de ce Suicide Squad, on se surprend à penser que, l'un dans l'autre, DC donne l'impression de tenir pas trop mal la barre de son univers partagé et propose un spectacle, même s'il est très calibré, d'assez bonne tenue. L'introduction parvient même à être efficace et soutenue dans la présentation de certains des villains qu'il met en scène, aidée par une BO qui multiplie les tubes comme autant de clins d'oeils cools destinés au fan.
Jusqu'à la fin du deuxième tiers, donc, le spectateur que je suis ne s'est pas senti floué, même si j'avouerai que certains trucs m'ont un peu fait grincer des dents sous le masque.
Car Suicide Squad prend tout d'abord, et finalement, pas mal de libertés avec le matériau d'origine et gomme par exemple quasi intégralement, sous l'impulsion d'un Will Smith mégalo, les traumas de Deadshot et ses doutes. Il les simplifie même à l'extrême en réduisant ses enjeux personnels à un simple problème de garde alternée que connaissent la plupart des parents divorcés. Ouais... Pareil pour Harley Quinn, moins maltraitée mais représentée dans une union fusionnelle avec son Monsieur J., qui pourtant, dans The Animated Series (au hasard), la prenait plus pour un souffre douleur et n'hésitait jamais à se moquer d'elle ou à la sacrifier.
Ces deux persos évolueront au tout premier plan, éclipsant la plupart des autres méchants qui oscillent entre un sentiment de sous emploi éprouvé par le fan, et l'apparition fugitive (Slipknot, à inscrire comme simple perte acceptable). Plane aussi sur ce Squad l'ombre du Joker, troisième interprétation qui a le tort de passer derrière Jack Nicholson et Heath Ledger. Car Jared Leto en fait un criminel plus froid qui évolue aux antipodes de l'exubérance qu'il affichait dans Batman ou de son nihilisme imprévisible de The Dark Knight : Le Chevalier Noir. Si la performance n'est pas mauvaise, on regrette cependant le rire sardonique si caractéristique du personnage, ou même son côté outrancier, manipulateur et adepte de la mise en scène criminelle.
Le spectateur sera en revanche littéralement saisi et interloqué par une seule scène où, à l'issue d'un épisode psychologie de comptoir au zinc, le Suicide Squad plongera en pleine séance de thérapie collective totalement hors sujet, loin de ce que l'on est en droit d'attendre d'une telle licence comics. Et là, instantanément, Behind, il s'est souvenu de ce qu'il s'était dit mais que la relative qualité du spectacle parvenait jusqu'ici à faire passer. Car Suicide Squad, finalement, ne met à aucun moment en scène les criminels les plus violents, les plus détraqués, les plus pourris ou psychopathes. Non, car DC les a réduits en simples personnages un peu badass, parfois décalés, à la répartie nourrie leur permettant de balancer blagues et punchlines plus souvent qu'à leur tour. Et en tout cas, loin d'être rotten, vicious, et encore moins damaged...
Si le projet Suicide Squad était vendu comme sombre et méchant, le produit fini a le goût du sucre industriel, sans violence excessive, sans aucune confrontation entre fortes personnalités, sans querelles intestines au sein de l'équipe entre villains aux objectifs divergents. Sans personne pour faire bande à part ou tirer dans les pattes des autres. C'est tout juste si Rick Flagg doit parfois les rappeler à l'ordre où les garder en respect. Jamais le spectateur n'aura l'impression que de tels prédateurs lâchés en ville constituent plus une menace qu'une solution. C'est à peine si Harley Quinn défonce une vitrine !
Suicide Squad se transforme dès lors bien vite, pour moitié, en un simple film de commando où finalement, bien que l'on soit une ordure, on se sert les coudes et on se prend d'amitié pour son frère d'arme. Pourtant, comme je le disais, le film se suivait sans mal et faisait passer la pilule, jusqu'à cette scène de comptoir qui vient littéralement tout casser et réduire à l'état de ruines ce que David Ayer avait réussi à créer... De manière anonyme, puisqu'on ne retrouve à aucun moment sa patte, celle de Fury, celle de End of Watch, celle de Au Bout de la Nuit. Pire, déjà sans éclat, on ressent fortement que le dernier tiers de Suicide Squad lui échappe complétement des mains, tant le climax, plongé dans le brouillard, parfois incompréhensible, vire par instant au n'importe quoi, entre sacrifice, plan hurlé pour être sûr qu'il soit deviné par le méchant et facilités parfois navrantes.
J'étais pourtant prêt, au vu de l'introduction bien rythmé et emballante, à pardonner pas mal de choses, comme le fait qu'il est tout bonnement incompréhensible qu'un personnage puisse échapper au contrôle d'Amanda Waller (le seul perso égal à sa version comics), ou de voir les sbires du méchant sortir tout droit d'une séquence horrifique de Planète Terreur (Oui, oui, la deuxième partie du Grindhouse de Robert Rodriguez).
Tant et si bien qu'à la sortie de la salle, on ne peut que se rendre à l'évidence et penser que Suicide Squad relève d'un certain gâchis, et qu'à force de baisser le niveau de violence et l'aspect sombre de son projet, DC a perdu de vue son concept, regrettablement castré pour le mettre à la portée du grand public. Car pourtant, avec une telle licence, la Distinguée Concurrence avait largement de quoi proposer quelque chose de nasty, décalé, original et profondément jouissif, avec des outsiders presque tous sortis de nulle part qu'ils auraient pu porter au pinacle tout en apportant du sang neuf au super hero movie.
Au contraire, depuis Batman v Superman : l'Aube de la Justice, DC semble malheureusement s'acharner, avec leur dernier poulain, à transformer l'or en plomb.
Faudrait peut être leur dire de ne pas lire le mode d'emploi de la pierre philosophale à l'envers...
Behind_the_Mask, Squadron (pas très) Supreme.
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le 3 août 2016
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