Soit un homme qui aurait décidé de vivre sa vie jusqu’au bout. Sa vie de vivant, son terme dût-il être fixé à assez brève échéance par les arrêts des dieux médicaux… Pour son huitième long-métrage, Michel Franco, réalisateur, scénariste et ici également co-producteur, confie le rôle de Neil Bennett à Tim Roth, l’un des acteurs avec lesquels il avait déjà noué une belle complicité, notamment à l’occasion de « Chronic », en 2015. Qui de mieux que cet interprète britannique pour incarner l’élégance à la fois nonchalante et méditative d’un riche héritier parti en vacances dans un Acapulco dont il ne parviendra pas à se détacher ?
Sur un mode finalement assez durassien, le réalisateur mexicain adopte une sorte de narration blanche, ce que la littérature nomme « point de vue externe » : les protagonistes agissent, les faits sont montrés, mais délestés de toute explication opportunément délivrée au spectateur. Celui-ci doit travailler, œuvrer, conjecturer, lancer des pistes et des hypothèses pour établir les liens familiaux, les motivations de chacun… Le procédé peut irriter ; ou passionner.
S’ouvrant à l’air libre, sous un soleil permanent, dans un climat de « luxe, calme et volupté », sur les bords d’une piscine privée surplombant la mer, au sein d’un grand hôtel pour touristes fortunés où les différents espaces sont reliés par des voiturettes et où les résidents sirotent des cocktails à toute heure du jour, la narration s’infléchit brusquement, sur quelques appels téléphoniques qui, annonçant une hospitalisation rapidement suivie de décès, précipitent tout ce petit monde privilégié dans l’avion du retour. Exit Alice Bennett (Charlotte Gainsbourg), flanquée de ses deux grands enfants post-adolescents. Du moins provisoirement. Neil, au dernier moment, se dérobe, prétextant l’oubli de son passeport à l’hôtel.
Se dévoile alors l’autre visage d’Acapulco, autrement plus authentique que le premier. Moins de verdure, des rues, des plages plus étroites, plus peuplées, grouillantes de toute une modeste mais intense activité touristique. Les espaces se resserrent : taxi plus sommaire, avec un conducteur intrusif, faussement amical et secourable, chambre d’hôtel plus modeste, moins traversée de lumière, piscine microscopique, petit commerce, petit appartement, prison, même, par la suite… Ce resserrement n’empêchera pas la naissance d’un beau lien, tout entier nourri de sensualité, avec une habitante de la ville, Bérénice (Iazua Larios). Pourraient rester le calme et la volupté, débarrassés du luxe. Ce serait compter sans le venin distillé par l’argent et l’attrait que celui-ci exerce, sur ceux qui en ont comme sur ceux qui en manquent. La violence fera irruption, portée par la misère d’Acapulco et ses prétendues combines miraculeuses. La violence médicale, aussi, qui plantera son drapeau en rappelant les limites d’un corps malade.
Mais précisément : pourquoi se soumettre à ces diktats, y compris intérieurs…? Dans la très belle lumière d’Yves Cape, passant de l’éclat le plus aveuglant à la pénombre la plus subtile, Michel Franco filme une fuite en avant. Aucun éclairage ne sera projeté sur le passé du personnage principal. Seule affleurera, dans le soleil ou bien la nuit d’Acapulco, sa détermination à vivre ce qui peut encore être vécu, librement, dans une vie d’homme. On peut très lointainement songer à la réalisation d’Éric Lartigau, en 2010, « L’Homme qui voulait vivre sa vie », pour cette dimension de dérobade constante, soutenue par une volonté et une énergie un peu énigmatiques, portant toujours le héros vers un ailleurs, toujours un peu plus loin, là où il échappera à toute emprise. Ici le propos est plus nuancé et délicat, plus mystérieux aussi, dans la mesure où il se confronte à la sourde menace intestine que chacun porte en soi ; d’où ces images récurrentes d’organismes portés à leurs limites, que ce soit dès le plan d’ouverture avec ces poissons agonisants, sortis de l’élément liquide qui leur permet de vivre, ou encore cette vue, par ailleurs également très sensuelle, de fruits de mer encore vivants réagissant à l’administration de quelques gouttes de citron.
Le titre, malgré le « soleil » contenu dans le nom composé de l’anglais, annonçait un « crépuscule ». Et c’est bien - malgré les rayons initiaux et récurrents, mais pouvant tout autant évoquer l’univers médical, prospectif ou curatif - à une sorte de méditation nostalgique sur le « crépuscule » des corps que nous convie « Sundown ». Au-delà des soleils trompeurs, ressort le caractère inabordable et irrémédiablement solitaire d’une telle phase.